Podcast : « Maudit Parlement ! »

Peu de gens le savent, mais la construction du Parlement de Bretagne, au 17e siècle, n'a pas été de tout repos ! Mort brutale de l'architecte, épidémie de peste ou encore guerre civile ont jalonné son histoire. Avant d'ouvrir ses portes, ce majestueux édifice baroque a dû conjurer les mauvais sorts.

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Gravure du grand incendie de Rennes en 1720, au premier plan le parlement épargné.
Podcast Maudit parlement !

Bonjour, c'est Morgane Soularue. Je vous retrouve aujourd'hui pour vous parler d'une pépite architecturale parmi les monuments rennais : le Parlement de Bretagne. Peu de gens le savent, mais sa construction, au 17e siècle, n'a pas été de tout repos ! Mort brutale de l'architecte, épidémie de peste ou encore guerre civile ont jalonné son histoire. Avant d'ouvrir ses portes, ce majestueux édifice baroque a dû conjurer les mauvais sorts.   Posé sur la place du même nom, le Parlement de Bretagne dégage une force tranquille. C'est comme s'il avait toujours été là, sûr de son droit. Dans le Grand dictionnaire historique de 1754, Louis Morérie note qu'il passe, je cite, "pour l'édifice le plus régulier d'Europe", et que "sa magnificence intérieure répond à la dignité des lieux". Le ton est donné et les Rennais approuvent forcément le point de vue : le Palais du Parlement compte aujourd'hui parmi les édifices les plus prestigieux du patrimoine breton, après avoir été l'un des piliers de l'histoire de la région sous l'Ancien Régime. Tout au long de son histoire, ce monument cher au cœur des Rennais va aussi accueillir des procès aux accents dramatiques, d'Hélène Jegado à Outreau.   Mais si ses lignes sont claires et ses proportions parfaites, sa construction a emprunté nombre de détours et connu son lot de péripéties, parfois tragiques. Rembobinons le film jusqu'à la première pierre.   Les âmes superstitieuses vont forcément y voir un signe. En décidant de construire le Parlement de Bretagne sur le site d'un ancien cimetière hospitalier, les édiles rennais ne pouvaient que commettre un sacrilège et s'attirer le mauvais œil ! Et c'est dans cette atmosphère digne du film Shining que s'ouvre la parenthèse en chantier mais pas vraiment enchantée du célèbre monument rennais.   Débuté en 1618, le chantier de construction va durer plus d'un demi-siècle et être pour le moins laborieux. Le prix à payer pour devenir l'un des plus beaux monuments de France, tant par son architecture que par sa décoration intérieure.   Comme souvent en Bretagne, le film commence par une histoire de rivalité avec la voisine nantaise. Après avoir partagé ses sessions entre les deux villes, le Parlement de Bretagne, qui a été créé en 1554, se fixe définitivement à Rennes 7 ans plus tard. Le temps d'une juste réflexion, dirons-nous. Mais la première pierre n'a toujours pas été posée que la construction du monument, qui est décidée depuis longtemps, est déjà retardée. Faute de ressources financières et en raison du contexte troublé des guerres de Religion, l'édification du Palais royal est remise à plus tard. Le Parlement va prendre provisoirement ses quartiers au couvent des Cordeliers.   Il faut attendre 1609 et notre bon roi Henri IV pour permettre aux édiles rennais de prélever un impôt spécial sur le pot de cidre et ainsi lancer la construction tant attendue de l'édifice, rendue, donc, possible par les revenus pressés du fruit défendu. Mais celle-ci ne sera pas de tout repos...   Les plans de Germain Gaultier, l'architecte de la ville à l'époque, sont en effet jugés trop archaïques. Ils vont donc être remaniés par l'architecte royal Salomon de Brosse. Le chantier démarre sous les ordres de ce dernier et la première pierre est posée le 15 septembre 1618. Le nouveau projet se limite à transformer la façade du palais et à redessiner les arcades de la cour qui avaient été imaginés par Germain Gaultier. Alors que Gaultier restait dans le giron architectural de la Renaissance, son successeur va unifier l'ensemble. Salomon de Brosse, qui a aussi été l'architecte du Palais du Luxembourg, privilégie une lecture horizontale de l'édifice, avec granit au rez-de-chaussée et tuffeau à l'étage.   Les travaux suivent bon train pendant dix ans. Pourtant, les mauvais présages continuent de s'amonceler sur les têtes rennaises, à l'image de la mort accidentelle de Germain Gaultier en 1624. Germain Gaultier, comme je viens de vous le raconter, c'est l'architecte de la ville, l'auteur du dessin contrarié du Parlement. Même si Salomon de Brosse a retravaillé ses dessins, c'est lui qui va diriger le chantier du palais. En tout cas jusqu'à ce qu'une voûte du rez-de-chaussée ne s'écroule sur lui. L'architecte va décéder de ses blessures quelques jours plus tard. Son successeur Salomon de Brosse ne verra pas non plus la construction s'achever, puisqu'il est emporté par la maladie deux ans plus tard.     Fin des drames ? Pas tout à fait. En 1627, c'est une épidémie de peste qui provoque l'interruption brutale des travaux pendant plus de dix ans.   C'est sûr, le Parlement de Bretagne est maudit ! Après avoir repris en 1640 sous la direction de Tugal Caris, un maître d'œuvre lavallois, le chantier doit de nouveau être stoppé brusquement. Cette fois, c'est la Fronde parlementaire qui assombrit son avenir. On renonce alors à exécuter les décors classiques qui ont été dessinés par l'architecte de Brosse. Dans un contexte de guerre civile, l'heure n'est plus vraiment aux grands projets.   Les travaux reprennent en 1654. La majeure partie de la charpente, la toiture, les planchers et les parquets sont enfin achevés. L'embellie se confirme et à partir de 1655, les plus grands décorateurs sont mobilisés pour réaliser lambris, décorations et ornements. Charles Errard, Noël Coypel et Jean-Baptiste Jouvenet vont ainsi laisser leur illustre signature aux quatre coins de l'édifice.   Enfin achevé, le chantier a pour l'heure, connu la mort de deux architectes, des problèmes d'agent, une épidémie ravageuse, une guerre de religions et une guerre civile. Après tout ça, on est en droit de penser que le pire est passé et que le meilleur reste à venir.   La preuve ultime ? L'intérieur du Parlement de Bretagne préfigure ce qui sera réalisé pour le roi à Paris et à Versailles par la suite, marquant une étape essentielle dans l'histoire du décor peint du XVIIe siècle.   Illuminé par les rayons du roi Soleil, le chantier du monument rennais ne peut donc que connaître un avenir radieux. Quoique...   Comme un mauvais retour de flamme, l'incendie de 1720 vient lécher les façades du Parlement. Appelé pour reconstruire le cœur de Rennes, l'architecte du Roi Jacques Gabriel en profite pour donner au monument une place royale digne de son architecture et fait placer au centre une statue équestre de Louis XIV. Il entreprend également de banaliser la façade du Parlement en supprimant son escalier à double volée qui menait aux étages nobles de l'édifice, ainsi que la terrasse et le perron. Le dessein politique de l'architecte est clair : le palais doit s'incliner devant la statue de Louis XIV, comme les parlementaires devant le roi. Pour l'anecdote, cette statue sera déboulonnée pendant la révolution et fondue aux forges de Paimpont, mais ça, vous pouvez le découvrir en écoutant un autre podcast : "Rennes-Nantes, la statue de la discorde".   Les sans culottes n'épargneront pas non plus le bâtiment dans leur soif d'égalité et un grand projet de rénovation sera lancé sous Louis Philippe au XIXe siècle. À l'image du fameux temps breton, le monument ne cessera en fait jamais de connaître une alternance d'averses et d'éclaircies.   Sous la troisième république, l'architecte Jean-Marie Laloy entreprend de rendre son lustre d'origine au monument rennais. Il contribue à faire classer l'édifice parmi les « monuments historiques » en 1884. On restaure le faîtage de la toiture disparue pendant la Révolution et on envisage de reconstruire l'escalier de Salomon de Brosse. Laloy passe également commande à la Manufacture des Gobelins pour de grandes tapisseries qui mettent en scène l'histoire et la justice, réalisées entre 1902 et 1904.   Alors, maudit, le Parlement de Bretagne ? Si les flammes de l'incendie de 1720 se sont miraculeusement arrêtées au pied du monument rennais, celles de 1994 vont littéralement ravager sa magnifique charpente, jadis baptisée « forêt », en raison du grand nombre de madriers employés pour sa construction. En cette sinistre journée du 4 février, Rennes baigne à nouveau dans une atmosphère de guerre civile, avec notamment aux premiers rangs de la manifestation, des pêcheurs bretons bien décidés à ne plus se laisser mener en bateau.   L'état des lieux est sans appel : épargné par le feu en 1720 et partiellement endommagé en 1835, le Parlement de Bretagne, qui avait jusqu'alors traversé les siècles sans outrage majeur, va voir la fusée de détresse atterrie sous ses combles lui être fatale.   Plusieurs niveaux sont ravagés. Des couvertures et charpentes, il ne reste que des vestiges et plaies calcinées. Les combles ont complètement disparu. Les ouvrages de la bibliothèque historique sont partis en fumée. Au deuxième niveau, la salle des pas perdus n'existe plus...   Seule bonne nouvelle : les 20 tapisseries de la manufacture des Gobelins ont miraculeusement été sauvées des flammes. Mais comme dans un mauvais film, la moitié va partir en fumée quelques mois plus tard dans l'incendie de l'atelier de restauration où elles avaient été envoyées.   Au matin du 5 février, les Rennais se réveillent dans un paysage de désolation. Mais on connaît la suite de l'histoire, et le phénix va bientôt renaître de ses cendres.
Maudit Parlement !, un récit écrit par Jean-Baptiste Gandon