Podcast : « Poganne ou l'histoire de la galette rennaise »

Connaissez-vous l’histoire de Poganne, l’inventeur du fast-food breton au 19e siècle ? Savez-vous comment le célèbre « galetier » rennais fit son beurre ? Découvrez la saga de la galette rennaise !

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Photo d'une galette saucisse en cours de cuisson sur un billig.
Podcast "Poganne ou l'histoire de la galette bretonne"

Connaissez-vous l’histoire de Poganne, l’inventeur du fast-food breton au 19e siècle ? Savez-vous comment le célèbre « galetier » rennais fit son beurre ? Découvrez la saga de la galette rennaise !

"Faisoux" de galettes au n°6 de la rue Beaurepaire, aujourd'hui rue Motte-Fablet, Poganne, de son vrai nom Hélou, est né à Rennes en 1780. Madeleine de Proust des Rennais, la galette de sarrazin nourri alors leur vie quotidienne depuis plusieurs siècles déjà.

Rapporté d’Asie par des Croisés au XIIe siècle, le blé noir fleurit depuis les champs de Bretagne de ses magnifiques tapis de fleurs roses. La plante y a trouvé un climat humide et doux, ainsi que des terres acides propices à sa culture. En Bretagne, l'existence de la galette est ainsi avérée depuis le Moyen-Âge.

En 1845, 130 galettières et marchands de galettes, sont recensés à Rennes. Faire des galettes est alors une activité exclusivement féminine. Il s’agit le plus souvent d’un métier d’appoint, et les crêperies n’existent pas encore. Mais pourtant, Poganne office déjà quelques 30 ans plus tôt, rue Beaurepaire.

Commerçant visionnaire, Poganne a l’idée toute bête d’utiliser... deux tuiles au lieu d’une pour faire des galettes, doublant ainsi la concurrence. Il a en quelque sorte taylorisé une activité artisanale.

Pour mener l’enquête sur l’histoire de ce « self-made man breton », quelques précieux documents n’ont pas été de trop : « Rennes il y a cent ans », un livre de causeries radio-diffusées en 1932-1933 et un article du Foyer, journal-programme du théâtre de Rennes, daté du 17 février 1839.

Surnommé « Homme-galette », «Homme sarrazin » ou « Homme jaune d’œuf », Poganne put acquérir une maison à la hauteur de son nouveau statut grâce à des « économies faites sur plus de 180 000 galettes », note le journal Le Foyer.

Le restaurateur a même, jure-t-on, « usé huit tournettes » au cours de sa laborieuse vie.

Peut-on le considérer comme l’inventeur du fast-food ? Dans le livre « Trente ans après » de Louis Hamon, un témoignage glané en 1892 semble confirmer la géniale intuition du galetier, et l’idée, certes un peu chauvine, que le précurseur du Mac Donald’s est bien Rennais.

« L'illustre Poganne faisait de la galette sur deux tuiles à la fois. C'était merveilleux. Sa porte était journellement assiégée de badauds accourus en foule pour admirer sa dextérité. Les étudiants venaient se régaler chez lui, car il était installé de façon qu'on pût manger et boire dans sa boutique. »

Agrémenter sa boutique de quelques tables et chaises, il fallait y penser !

Parmi les clients assidus de Poganne, un poète de 20 ans et futur académicien nommé Leconte de Lisle. Brillant surtout par ses absences à la faculté de Droit, le garçon offrit quelques vers parus dans le journal Le foyer. « Poganne, c’est tout dire ; et dans le monde entier, jamais ne fut meilleur galetier. »

Le meilleur galetier du monde ? Peut-être. Le plus malicieux ? Sûrement. Car il y a exactement deux siècles, au mois de septembre 1815, entre 3 et 4000 prussiens étaient cantonnés à Rennes avec leurs chevaux.

Autant de bouches supplémentaires à nourrir dans une ville d’à peine 30 000 habitants. Malgré sa haine pour ces cavaliers, Poganne pouvait-ils refuser de les servir ? Business is business, et le journal Le Foyer précise que « Poganne traita nos amis les ennemis en vrai cosaque ». Il leur fait payer 20 sous chaque galette et leur sert du suif en guise de beurre. Du vol, oui, mais en roulant les Prussiens dans la farine, le galetier s’assura ainsi un début de prospérité.

Signe que la success-story de Poganne marqua durablement les esprits : la presse parlait encore de lui, un siècle plus tard, continuant ainsi d’inspirer les poètes locaux.

Kristian Hamon, ancien employé aux Archives municipales de Rennes et animateur d’un blog d’historien, se souvient : « gamin, mon père s’exclamait régulièrement ‘quel poganoux de saindoux !’ J’ai entendu cette expression, qui signifie affectueusement un ‘crassou’, jusque dans les années 1960. »

Mais pourquoi diable Poganne était-il en même temps synonyme de réussite sociale et de crasse ?

Soucieux de son rendement, Le commerçant saisissait et retournait sa galette sur la tuile grasse avec ses deux mains plutôt qu'un tourne galettes, pour aller plus vite. Il devait les essuyer régulièrement sur son tablier... avec le résultat qu’on imagine. D'où son surnom de "poganne", du verbe "poganer", que l'on pourrait traduire par "se salir".

Quelques années plus tard, alors que Poganne est toujours en exercice, apparaîtra la fameuse galette saucisse.

Nul ne sait qui a réellement inventé ce hot-dog armoricain, mais le patron de la charcuterie-auberge-salle de réunion de la Robiquette, dont l'identité n'est pas connue avec certitude, peut-être s'agissait-il de Poganne, ne fut certainement pas le dernier. C'est même d'ailleurs son nom qui a inspiré, à l'époque, celui de la Galette-saucisse.

Eh oui, la Galette-saucisse ne s'est pas toujours appelée ainsi ! Si le sandwich gallo fait aujourd'hui l'objet d'un acronyme, GSM, pour galette-saucisse-moutarde, il était autrefois appelé "robiquette".

Dès 1831 en tout cas, l'auberge de la Robiquette, située à la limite de la ville, fut l’objet d’une ode aux galettes, saucisses et boudins !

Proche du canal, l’endroit était prisé par les associations sportives et par les sociétés qui y organisaient leurs fêtes annuelles, généralement suivies d’un banquet.

« À la grande époque des guinguettes, La Robiquette fut longtemps un haut lieu de la vie rennaise, explique Kristian Hamon. Il y a encore quelques années, le mardi, c’était le jour du petit salé tiède, à ne manquer pour rien au monde. »

Et le vendredi ? Encore respectée aujourd’hui par bon nombre de Rennais, la tradition veut que l’on déguste des galettes ce jour maigre : lorsque chacun avait absorbé une demi-douzaine de galettes, il était de coutume de se rassasier en cassant des œufs sur la pâte encore chaude. On enveloppait l’œuf dans la galette, avec pour réslutat un mets appelé « pâté de Bécherel.

La suite de l'histoire de la galette ? Malgré une interdiction en avril 1941 et en juillet 1944 pour cause de rationnement, la galette de blé-noir a continué de servir d’étendard à la Bretagne, surtout garnie d’une saucisse.

Les supporters du stade rennais dédient même, depuis 25 ans, une chanson à ce plat emblématique. Et, depuis 1994, l’association pour la Sauvegarde de la Galette-Saucisse Bretonne (SGSB) veille au grain et à sa promotion hors du département. Aussi sérieuse que potache, le cercle des poganneurs pas disparus compte 3 500 membres qui doivent respecter 10 Commandements et se faire photographier aux 4 coins du globe avec le tee-shirt d’adhérent.

Il y a eu la quête du Graal, puis celle du grill. Dans les deux cas, il est question de légendaires chevaliers de la chose ronde. Avec, en toile de fond, l’ombre réconfortante de Marie-Charles Helou, alias Poganne, self-made man breton.

Un récit écrit par Jean-Baptiste Gandon