Podcast : « Rennes, une histoire d'eaux »

Si les immeubles de Rennes ont aujourd’hui l’eau et le gaz à tous les étages, ce ne fut pas toujours le cas. Depuis quand la capitale de Bretagne possède-t-elle l’eau courante ? D’où vient cette dernière ? Voici « Rennes, une histoire d’eau ».

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Photo de l'intérieur du réservoir des gallets, on parle de cathédrale à cause des nombreuses colonnes qui composent le réservoir. Une visite est en cours sur la photo.
Podcast Rennes, une histoire d'eaux

Bonjour, c'est Morgane Soularue ! Si les immeubles de Rennes ont aujourd'hui l'eau et le gaz à tous les étages, ce ne fut pas toujours le cas. Depuis quand la capitale de Bretagne possède-t-elle l'eau courante ? D'où vient cette dernière ? Voici « Rennes, une histoire d'eau ».  Un récit coulant de source au cours duquel vous croiserez les maires Jean Janvier et Armand Robinot, les architectes Jean-Baptiste Martenot et Emmanuel Le Ray.  Surtout, vous aurez l'occasion de descendre dans les profondeurs du réservoir des Gallets, ou de plonger dans le grand bain de la piscine Saint-Georges.  Avec en toile de fond, la politique hygiéniste menée par la ville à partir de la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant. Or, là où il y a de l'hygiène, il y a beaucoup plus de plaisir.  Vérifions cela sans plus tarder !  Pour commencer cette promenade au fil de l'eau, rendez-vous nous a été donné rue du Gallet. Au premier regard, le lieu reste énigmatique, pour le moins mystérieux. Circulez il n'y a rien à voir ? Bien au contraire, c'est là que se situent les réserves en eau de la ville.  Soient trois réservoirs enfouis sous terre et maçonnés, datant des années 1880, rejoints au début du 20e siècle par un quatrième silo en béton armé. Ces quatre édifices raccordés à des aqueducs ont finalement permis l'alimentation en eau potable de la ville, sous l'égide de l'architecte Jean-Baptiste Martenot.  L'époque où les Rennais allaient remplir leurs seaux d'un liquide pas toujours potable n'est donc pas très éloignée. Boire de l'eau a longtemps représenté un risque, exposant les habitants aux épidémies de choléra, de diarrhée, de dysenterie et autre fièvre typhoïde. Cette situation hygiénique explique en outre le goût prononcé des Rennais pour le cidre, qui coulera longtemps à flot dans la capitale de Bretagne et alentours.  Le réservoir des Gallets sera le premier acte d'une série de grands projets hygiénistes menés par la ville, bientôt suivi par la piscine Saint-Georges. Un fleuron architectural et sanitaire réalisé sous la mandature de Jean Janvier, maire de 1859 à 1923.  Mais l'eau a coulé sous les ponts avant que Rennes ne se dote d'un système d'adduction, et le souci des autorités publiques pour le liquide transparent remonte à beaucoup plus loin.  Le terrible incendie qui ravagea le centre ville, du 23 au 29 décembre 1720, ne s'est pas arrêté grâce à l'action des pompiers, mais sous l'effet d'une pluie pour le moins providentielle. Cette tragédie, par le manque de moyen qu'elle a révélé, a par contre apporté de l'eau au moulin de la réflexion sur le sujet. L'ancêtre des pompiers fut par exemple créé au lendemain de la tragédie, avec la mise en place de pompes mobiles. La construction du réservoir des Gallets et de la piscine Saint-Georges, couleront de la même source.  Plongeons sans plus attendre dans les profondeurs de la ville. Le réservoir des Gallets a été construit à la fin du 19e siècle pour stocker l'eau potable acheminée depuis des sources localisées dans le nord de Rennes. À cette époque, l'approvisionnement de la ville en eau se fait encore par porteurs, mais le maire Armand Robinot de Saint-Cyr va tout mettre en œuvre pour que celle-ci coule un jour du robinet.  L'architecte Jean-Baptiste Martenot va prendre le parti de puiser l'eau de la Minette et de la Loisance, des rivières situées dans le pays de Fougères.  Propres et naturellement filtrés par le sol granitique, les deux cours d'eau semblent faire l'affaire, même si d'un point de vue politique, le projet se heurte au refus catégorique des habitants de Fougères. Le fief royaliste, dont l'industrie forte consommatrice en eau, est en plein essor, voit en effet d'un mauvais œil la tentative de récupération par Rennes, cette capitale de Bretagne républicaine et administrative.  Créée en 1856 par décret royal, c'est la Compagnie générale des eaux qui assurera les travaux de canalisation et de raccordement aux réservoirs.  C'est donc un chantier ambitieux qui débute en 1880. Treize drains sont réalisés pour se raccorder les deux cours d'eau à l'aqueduc de la minette, construit la même année. L'eau ainsi captée devra alors parcourir 47 kilomètres pour venir remplir les réservoirs des Gallets, ainsi que la trentaine de fontaines publiques disséminées dans la ville. C'est un très long chemin, direz-vous. Grâce à sa position élevée sur la Butte de Coësmes, le site des Gallets permet la distribution de l'eau par gravitation.  Pour dire que les autorités pensent déjà « circuit court » et « local », c'est l'ancienne carrière voisine qui fournira les matériaux de construction du premier réservoir souterrain réalisé en 1883, pour une capacité de 15 000 m3. Un deuxième réservoir est édifié en 1888, pour une capacité de 20 000 m3. Un troisième est construit en béton armé en 1919, pouvant recevoir 28 000 m3. Véritable cathédrale de pierre, le second d'entre eux est une pure merveille architecturale. Avec ses 196 piliers en schiste et en granit s'élevant à 7 mètres de hauteur, l'édifice forme un complexe de galeries couvertes par des voûtes en plein cintre.  La religion de l'eau bat donc son plein, même si cette précieuse ressource restera d'abord un produit de luxe. L'abonnement demeurant couteux, et le branchement au réseau étant à la charge des habitants, l'approvisionnement des foyers restera dans un premier temps réservé aux ménages les plus aisés. Les hôtels particuliers situés aux abords du Thabor, seront les premiers servis, et les autres quartiers devront pendant un temps continuer de se ravitailler aux bornes fontaines.  Le site des Gallets se déploie aujourd'hui sur une superficie de 6 hectares. Depuis la modernisation de l'usine de la Mézière, qui traite sur place l'eau captée dans les drains et le ruisseau du Couesnon, le second réservoir n'est plus utilisé depuis 2012, sauf pour les Journées du patrimoine.  Deuxième fleuron de la politique publique hygiéniste portée par les différentes municipalités rennaises, la piscine Saint-Georges ne manquera pas de parler aux amateurs de natation.  Successeur de Jean-Baptiste Martenot comme architecte de la ville, Emmanuel Le Ray a laissé son nom sur de nombreux équipements publics. Il réalisera les plans de la piscine à l'architecture art déco, confirmant au passage l'initiative pionnière de la ville.  À Rennes plus qu'ailleurs en France, la préoccupation pour l'hygiène se manifeste en effet très tôt. Dès 1834, les conseillers municipaux réclament l'aménagement de baignades publiques. Une délibération évoque également la création d'une « école de natation », et la réalisation d'un accès à la Vilaine pour les baigneurs.  Petit problème : les finances de la ville sont à sec, vampirisées par la construction du théâtre.  L'eau va couler sous les ponts, et l'agenda indique 1892 quand l'ingénieur Edmond Philippe écrit au maire de Rennes Edgard Le Bastard pour lui proposer un projet comparable à ses réalisations de Lille et d'Armentières. Sollicité par la municipalité rennaise, le maire de la seconde citée répond : « c'est une excellente chose d'un point de vue de la santé publique, mais les résultats financiers sont médiocres. »  La situation du budget rennais ne s'étant pas améliorée, c'est un nouveau coup d'épée dans l'eau.  Élu maire de Rennes en 1908, Jean Janvier va passer commande de nombreux équipements publics à l'architecte Emmanuel Le Ray. Au cours de ses études aux beaux-arts de Paris, ce dernier s'est lié d'amitié avec des architectes tels que l'Américain Bernard Maybeck, l'Italien Enrico Ristori et le Nancéien Lucien Weissenburger, qui est une figure dominante de l'Art nouveau, et qui l'influencera en retour.  Les premières réalisations d'Emmanuel Le Ray illustrent le rationalisme classique, tranchant avec l'éclectisme de son prédécesseur Jean-Baptiste Martenot. En 1894, il pose sa candidature au poste d'architecte de la ville, une fonction qu'il occupera de janvier 1895 à mai 1932. À partir de 1923, il se consacre exclusivement aux commandes d'équipements sociaux, construits pour la plupart à moindre coût. Il réalisera ainsi nombre d'établissements scolaires, sanitaires et sportifs commandés par la municipalité Janvier. Citons les crèches Saint-Hélier, Alain Bouchard et Papu. Le foyer Rennais, situé rue de Nantes. La maison du Peuple, le stade municipal, les commissariats de police du Champ-de-mars et de la place Sainte-Anne... Emmanuel Le Ray réalisera également des édifices de prestige, comme le pavillon central du palais du commerce, les halles centrales, le groupe scolaire du boulevard de la Liberté, ou encore le Panthéon Rennais. Soucieux des questions sociales, l'architecte de la ville ose l'innovation, en accord avec ses convictions hygiénistes, rationalistes et modernistes.  Afin d'améliorer la formation des ouvriers du bâtiment, il créera même un atelier école, installé dans une aile du musée des beaux arts.  Ses aspirations sociales vont rencontrer celles de Jean Janvier, élu maire en 1908. Dans une ville moderne en mutation, ce dernier rêve d'équipements publics soucieux d'hygiène, et de réalisations de prestige. L'édile se passionne également pour la création d'une piscine municipale dès 1913. Après le grand bain de Nancy, Rennes accueillerait la deuxième construction de ce genre en France.  Emmanuel Le Ray va hésiter à se jeter à l'eau, en raison des difficultés financières de la municipalité.  Un premier projet prévoit une implantation rue Alphonse Guérin, sur l'ancien site d'un vélodrome. Il pose également l'aménagement de terrains de jeux et de sports. Tout a été prévu et l'eau serait captée dans le bief de Saint-Hélier voisin. Long de 25 mètres et large de 14, le bassin serait entouré de galeries et de gradins. Emmanuel Le Ray se met en relation avec son ami Lucien Weissenburger, architecte de l'équipement de Nancy, qui lui donne des renseignements sur l'équipement en béton armé construit en 1904. L'architecte rennais s'intéresse également à la piscine de Strasbourg, jugée trop luxueuse mais intéressante pour ses aménagements intérieurs.  Les principes hygiénistes inspirés de ces exemples imposent notamment un sens de circulation strict autour des vestiaires, des pédiluves et des bassins.  Malheureusement pour Emmanuel Le Ray, le projet fait des vagues et le journal L'Ouest Éclair va jusqu'à organiser un référendum auprès de ses lecteurs. Ce dernier milite contre le coût du programme, qui nuirait selon le journal à la modernisation des hôpitaux de la ville.  Ce premier projet tombe à l'eau, et c'est un incendie qui va relancer le débat. Le 5 août 1921, la caserne Saint-Georges prend feu. La ville propose un projet de réhabilitation du site : ce dernier accueillerait notamment les sapeurs pompiers, le conseil des prudhommes et des sociétés sportives et artistiques. Le terrain libre au nord du palais serait alloué à la construction d'une piscine. Celle-ci sortira de terre pour se remplir d'eau entre 1923 et 1926.  Après avoir réussi les halles centrales, Emmanuel Le Ray apporte un soin extrême à la décoration. Omniprésente dans son projet, la mosaïque a le grand avantage de d'être à la fois hygiénique et esthétique. Imputrescible, lavable à grandes eaux et résistant aux affronts du soleil, ce matériau répond donc aux aspirations de l'époque. L'ensemble de cette décoration sera confié au plus rennais des italiens, un orfèvre du rubis cube, répondant au nom d'Odorico.  Pourquoi ce virage décoratif ? Il s'agit de convaincre la population hostile et de se fondre dans le décor du centre ville, dont la piscine serait voisine.  Les Rennais et les Rennaises plongent dans le grand bain de la piscine Saint-Georges depuis maintenant un siècle. Que s'est-il passé depuis ?  Dans la foulée des Jeux olympiques de 1968, la politique volontariste de construction de complexes aquatiques s'est poursuivie, avec la construction de piscines aux Gayeulles, à Bréquigny, ou à Villejean.  Mais l'eau est entre temps devenu une ressource aussi rare que précieuse. Pour répondre à cet enjeu, la ville a pensé un cycle de l'eau en 3 temps : les résidus d'eau sont introduits dans le système de chauffage, puis dans le système de filtre et alimentent ensuite les camions d'entretien qui lavent quotidiennement le sol de la ville.  La source de cette histoire est désormais tarie, c'était « Une histoire d'eau », un récit de Jean-Baptiste Gandon sur la base du texte « Du réservoir des Gallets à la piscine Saint-Georges », d'Isabelle Baguelin.