L’art se met à nu dans une église rennaise

Exporama surprend encore : à Rennes, une église devient scène et atelier, où l'artiste Hsia-Fei Chang pose nue. Partie pour observer, je me suis retrouvée à dessiner. Un moment suspendu et inattendu.

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Le dos d'une femme nue en premier plan, et en second plan des personnes dessinant sur des chevalets

Droits réservés : Anne-Cécile Estève, Rennes Ville et Métropole

Je n’étais pas censée dessiner. Juste observer, prendre des notes. Mais un concours de circonstances a fait dérailler le programme : me voilà, assise derrière un chevalet, feuille blanche, face à Hsia-Fei Chang (lien externe). Elle, nue, allongée sur une table entourée d’hortensias et de pommes, la tête enfouie dans un coussin. Silence dans l’église. Je me fais toute petite. Mes voisins de chevalet, eux, semblent aguerris, moi j’ai le niveau CP en dessin et pas de fusains dans mon sac.

Heureusement, l’association Noir Brillant (lien externe), à l’origine de l’événement, vole à mon secours avec un tote bag de fortune : crayons à papier, quelques feutres… et beaucoup de bienveillance. Je gribouille timidement, puis me laisse emporter. Quelque chose m’envahit – appelons ça la “magie Basquiat” – et je me mets à couvrir ma feuille de traits colorés. C’est laid ? Possible. Mais c’est vivant et je me marre toute seule en regardant mon œuvre qui me semble désastreuse.

Ce moment suspendu, c’est “L’Appel du 18 juin”, une performance signée Hsia-Fei Chang, artiste taïwanaise installée à Paris, dans le cadre d’Exporama, le parcours estival d’art contemporain à Rennes. Pendant deux heures, dix dessinateurs, professionnels ou novices , sont invités à croquer l’artiste dans sa nudité, dans une ancienne église de la rue Saint-Laurent. Un lieu singulier, propriété de la sculptrice Delphine Lecamp, aujourd’hui animé par son association artistique.

Une femme dessine un portrait de nue

Une performance à la fois vulnérable et puissante, un appel à l'humanité, à sortir de l'indifférence à l'ère de l'intelligence artificielle qui menace de faire oublier la puissance créatrice de nos mains.    

Droits réservés : Anne-Cécile Estève, Rennes Ville et Métropole

Sur les murs désuets, des portraits d’Hsia-Fei,  Des artistes de Montmartre m’ont dessiné. Ce qui est intéressant ici ce sont les traits variés — parfois influencés par des styles sud-américains, arabes ou asiatiques — pour mieux souligner l’universalité du regard . C’est toute la démarche de l’artiste : depuis plus de vingt ans, elle questionne les stéréotypes liés au genre, à l’origine, à l’image figée de “la jeune femme asiatique” qu’elle déconstruit, réinvente, réincarne.

Sa démarche ici est radicale, mais pas provocante. Elle le dit elle-même :

En étant nue dans une église, je ne cherche pas à choquer. Il y a un côté très protecteur ici, très sain. On pense à la Vierge Marie et son enfant nu…

Le message est clair : remettre le corps au cœur de la création. Dans une époque dominée par l’intelligence artificielle, la performance d’Hsia-Fei est un appel vibrant à l’humanité, à l’émotion, à l’imperfection. Et pour ma part, je m’y suis laissée prendre.

Contrainte de partir avant la fin, on me propose de laisser mon "œuvre" à l'artiste. Horreur ! Exposer ma "croûte contemporaine" à Exporama ? L'idée est folle. Mais l'esprit de l'aventure m'emporte. En touche finale, j'ose une inscription discrète sur l'arrondi du dos dessiné : "La nana est canon en vrai, pardon." Et je file, avant qu'Hsia-Fei ne découvre ce portrait.

Je repars non pas avec la fierté d'un chef-d'œuvre, mais l'irrésistible envie de replonger dans l'expérience du dessin pour le silence, la sérénité et le bien-être procurés par ce moment suspendu. La cerise sur le gâteau ? Quelques jours plus tard, l'artiste me publie sur son Instagram avec un élogieux Top cette artiste ! Votre dessin est magnifique... Un honneur inattendu ! Et si, finalement, ma "patte" avait un intérêt insoupçonné ? Affaire à creuser... Saurez-vous identifier mon œuvre parmi les autres ? Pour le savoir, rendez-vous jusqu'au 27 juillet à l'église - Rue Saint Laurent (lien externe)dans le cadre d'Exporama (lien externe).

Fleur Gueutier

L'association Noir Brillant

Noir Brillant (lien externe) est une association fondée par deux artistes rennaises, Delphine Lecamp (sculptrice métal) et Anita Gauran (photographe argentique), pour faire dialoguer leurs pratiques artistiques dans deux lieux singuliers : une ancienne église et une chapelle à rénover, situées à 150 mètres l’une de l’autre. L’association vise à promouvoir l’art contemporain à travers des expositions et collaborations, en s’inscrivant dans des événements comme Exporama ou le Glaz Festival.