Ces arbres qui cachent une forêt d'enjeux

175 000 arbres composent le patrimoine végétal géré par la Ville de Rennes. Comment gère-t-elle ce patrimoine, et sur quels leviers peut-elle s'appuyer pour préparer l'avenir ?

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une personne au premier plan avec un grand arbre et un immeuble au fond

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

Cent soixante-quinze mille arbres composent aujourd'hui le patrimoine végétal géré par la ville de Rennes. Ajoutés aux spécimens enracinés dans le domaine privé, nous arrivons à 300 000 individus, plus que le nombre d'habitants de la capitale de Bretagne.

Dans un contexte de dérèglement climatique, d'effondrement de la biodiversité et de raréfaction de la réserve foncière, la marge de manœuvre pour mener une politique publique de l'arbre est toujours plus étroite tout en étant de plus en plus nécessaire.

Alors que la municipalité s'est engagée à planter 30 000 individus durant sa mandature, sur quels leviers peut-elle aujourd'hui s'appuyer pour préparer l'avenir ? Voici quelques éléments de réponse.

Un patrimoine à protéger

C'est bien, mais pas suffisant. Nous devons faire du quantitatif qui ait du sens. Positif, mais lucide, le constat est dressé par Bertrand Martin. Le directeur du service des Jardins et de la Biodiversité de la Ville de Rennes rebondit sur l'engagement de la municipalité de mettre en terre 30 000 nouveaux individus d'ici la fin du mandat. Planter, mais sans se planter, donc.

En 2025, 175 000 spécimens répartis sur 1000 hectares composent le patrimoine à gérer dans le domaine public. Si nous ajoutons ceux du secteur privé, le chiffre grimpe jusqu'à 300 000.

Il y a plus d'arbres que d'habitants sur le territoire de la ville. Et, comme ces derniers, ils sont de tous âges, et de toutes espèces  

Bertrand Martin

Des arbres aux abords de la place Jean Normand

En 2025, 175 000 spécimens répartis sur 1000 hectares composent le patrimoine à gérer dans le domaine public. Si nous ajoutons ceux du secteur privé, le chiffre grimpe jusqu'à 300 000.

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

Un patrimoine privé en diminution, si l'on en croit Bertrand Martin : les parcelles sont de plus en plus petites, et la culture du claustra ou jardin au carré ne fait pas bon ménage avec ces êtres vivants qui tapissent les rues proprettes avec leurs feuilles, et amènent avec eux ces oiseaux bruyants et salissant, ou ces insectes enquiquinant.

Le foncier : l'élément rare

La nouvelle donne est que la ville et finie. Elle se renouvellera désormais sur elle-même, dans un contexte de densification urbaine pas forcément favorable à nos géants verts. La divergence fondamentale avec les enjeux d'urbanisme, c'est que l'arbre fonctionne à plat. Son système racinaire se déploie dans le sous-sol, cela demande beaucoup de place. Or, le foncier est rare et cher. Nous devons donc faire des compromis : vouloir tout garder est une erreur technique.

Sur le territoire de la capitale de Bretagne, la concurrence est rude. De gros chantiers sont actuellement en cours, comme le renouvellement du réseau de chaleur sud. Or, il s'avère qu'il est souvent plus simple de préempter les espaces verts que la voirie, maillée d'une multitude de réseaux.
Aujourd'hui, l'enjeu est de sauvegarder ce patrimoine, en le renouvelant et en l'améliorant. À Rennes, 25 000 arbres s'alignent le long des rues. Sur 608 kilomètres de voirie, 255 sont bordés d'arbres, soit 42 %.

Aujourd'hui, l'enjeu est de sauvegarder ce patrimoine, en le renouvelant et en l'améliorant.

Bertrand Martin

  • 25000arbres s'alignent le long des rues de Rennes.
  • 255kilomètres de voirie sont bordés d'arbres (sur 608).
Vue en surplomb des plantations d'arbres avenue Henri Fréville

Dans un contexte d'épuisement des ressources foncières, la voirie offre des possibilités de plantations, à condition de revoir la place de l'automobile dans la ville.

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

Menacée par les travaux incessants et la densification urbaine, cette population peut également se heurter aux enjeux de politiques publiques tout aussi légitimes, comme celle des mobilités, de l'habitat, ou de l'économie, elles aussi consommatrices d'espaces. L'espace agricole a quant à lui été sanctuarisé.

Notre héritage est celui de plantations effectuées à partir du 18e siècle dans les parcs et le bocage. Les plantations d'arbres dans nos rues remontent principalement quant à elles aux années 1960-70, avec l'arrivée des ZAC.

Notre héritage est celui de plantations effectuées à partir du 18ᵉ siècle dans les parcs et le bocage. Les plantations d'arbres dans nos rues remontent quant à elles aux années 1960-70, avec l'arrivée des ZAC.

Bertrand Martin

Et Bertrand Martin de pointer les menaces climatiques planant sur cette population plus forcément adaptée. C'est la répétition et l'accélération de ces conditions difficiles qui font que l'arbre n'arrive plus à suivre. Maladies opportunistes, dysfonctionnements, déracinements… Le processus du déclin est lent, mais il est lancé. Pour l'instant, les signaux sont faibles. Quand ils seront forts, il sera trop tard. Comment aider les arbres à s'adapter ? Tel est l'enjeu des prochaines années.

L'avenir : beaucoup de renouvellement, et moins de plantations

Sélectionner des essences plus adaptées ; revenir sur d'anciennes plantations réalisées dans de mauvaises conditions ; faire preuve d'une vigilance extrême sur la question des insectes ravageurs…

La Direction des Jardins et de la Biodiversité aura du pain sur la planche dans les années à venir. Notamment auteur de "Des arbres pour le futur", l'ingénieur agronome Yves Darricau a déjà acté la mort du bocage tel que nos aïeux le connaissaient : l'orme a totalement disparu. Victime de ce champignon nommé chalarose, le frêne est en voie de disparition. Et, le chêne endémique ? Un sursitaire !

L'espace urbain rennais n'échappe pas aux effets du réchauffement climatique. Nous devons anticiper le renouvellement du patrimoine arboricole à l'aune de cette nouvelle donne, confirme Bertrand Martin.

Vue des chênes de Hongrie place de l'Hôtel de Ville, avec la mairie en second plan

Place de la mairie, les services de la Ville ont opté pour des chênes à feuille de laurier. Alors que notre cher pédonculé emblématique est en voie de disparition, ses cousins céris, de Hongrie, du Mexique ou d'Espagne peuvent se révéler de précieuses alternatives.

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

C'est un fait, le mercure ne cesse de monter dans le thermomètre rennais.

Avec une augmentation de la température moyenne de 1 degré, la strate climatique remonte de 200 kilomètres. C'est fait, Rennes a aujourd'hui le climat de Bordeaux dans les années 1960, une ville plutôt plantée de pins maritimes.

Avec une augmentation de la température moyenne de 1 degré, la strate climatique remonte de 200 kilomètres. C'est fait, Rennes a aujourd'hui le climat de Bordeaux, une ville plutôt plantée de pins maritimes.

Bertrand Martin

Dans quatre degrés, nous serons à Lisbonne. Huit degrés de plus, et nous serons à Marrakech…   

Face au réchauffement climatique, différentes stratégies sont possibles.

Certains écologues militent pour continuer de planter des espèces indigènes, avec tout leur écosystème de faune et de flore, porteur d'une diversité génétique. L'idée est que, au sein d'une même essence, certains arbres sont plus capables que d'autres de s'adapter.

D'autres veulent aller voir ailleurs, afin de dénicher des espèces plus adaptées à la nouvelle donne climatique, mais avec toutes les incertitudes que celles-ci apporteront dans leurs bagages.
La bonne mesure semble se situer dans un compromis entre les deux possibilités.

L'exemple du chêne

Il faut savoir qu'en France, la flore est beaucoup plus pauvre qu'aux États-Unis, ou qu'en Asie. Pour comprendre cette situation, il faut remonter à l'époque des glaciations : la flore a migré, mais s'est retrouvée bloquée par les Pyrénées et la Méditerranée. Quand vous recensez dix espèces de chênes dans l'Hexagone, les USA en comptent entre 25 et 50, et l'Asie, 40. Ces deux continents possèdent déjà une flore adaptée, pas nous.

Place de la mairie, les services de la Ville ont opté pour des chênes à feuille de laurier. Alors que notre cher pédonculé emblématique est en voie de disparition, ses cousins céris (chevelus), de Hongrie, du Mexique ou d'Espagne peuvent se révéler de précieuses alternatives.

Vue d'un chêne massif du dessous

Alors que le chêne endémique ou pédonculé est menacé, une stratégie peut consister à multiplier les variétés au sein d'une même espèce. 

Droits réservés : Jean-Baptiste Gandon, Rennes Ville et Métropole

Illustration sur le chemin de halage, le long des prairies Saint-Martin : la Ville a planté 75 chênes de dix variétés différentes, en 2025.

Nous sommes dans une course contre la montre et contre l'argent. Il est fondamental de mettre en place des stratégies d'efficacité. La seule réserve foncière dont nous disposons aujourd'hui se trouve le long de la voirie ou sur les parkings. Il faudra faire bouger les lignes concernant la circulation et le stationnement.

Nous sommes dans une course contre la montre et contre l'argent. Il est fondamental de mettre en place des stratégies d'efficacité. La seule réserve foncière dont nous disposons aujourd'hui se trouve le long de la voirie. Il faudra faire des choix difficiles concernant la circulation et le stationnement.

Bertrand Martin

Un plan guide de végétalisation à l'étude

L'idée est la suivante : puisqu'on ne peut pas planter partout, recherchons les endroits où ça sera le plus efficace.

Dans ce cadre, la mise en place d'un maillage fraicheur sera recherchée, notamment sur le chemin des écoles, des EPAHD, et des équipements publics.
La biodiversité est bien sûr prise en compte. Nous sommes en train d'effectuer un scoring (un classement par notes, ndlr) des zones de la ville, afin de recenser les espaces prioritaires où mettre en place des trames de fraicheur. Nous pouvons prendre l'image de sauts de puce, ou de pas japonais, pour caractériser ces points de refuge en cas d'épisode caniculaire.

Des gens à l'ombre sous un arbre, à l'ilot de l'Octroi

La Direction des Jardins de la biodiversité réalise actuellemnt un scoring des zones de la ville, afin de recenser les espaces prioritaires où mettre en place des trames de fraicheur.

Droits réservés : Julien Mignot, Rennes Ville et Métropole

Redéfinir la place de la voiture, travailler sur l'alimentation de l'arbre en eau et la désimperméabilisation des sols… Les axes de travail sont nombreux, même si complexes. Une étude scandinave a défini quelques principes pour une bonne politique publique de l'arbre.

Nous pouvons l'appeler "3 – 30 – 300", une règle servant de référentiel pour mener nos politiques publiques actuelles.

3 : c'est le nombre d'arbres que tout habitant doit voir de sa fenêtre.

30 : c'est le pourcentage de canopées (la surface foliaire vue d'en haut) qui doit être atteint. À Rennes nous sommes à 24 %, et il faudrait augmenter les plantations de 25 % pour atteindre ce ratio.

300 : c'est la distance maximum qui doit séparer un habitant du premier espace de fraîcheur végétalisé.

      La trame brune et l'eau, des enjeux cruciaux

      Renouveler le parc arboricole de manière efficace, recréer les conditions pour que l'arbre puisse explorer le sous-sol pour y trouver l'eau nécessaire à sa croissance… Cela passe par une politique de désimperméabilisation des sols, une déconnexion du réseau pluvial, et un travail sur la trame brune (la terre), longtemps recouverte.

      Et Bertrand Martin de pointer le rôle fondamental de la biodiversité, tous ces champignons et ces bactéries se trouvant dans le sol. "Des expériences montrent qu'il est possible de transformer une terre stérile en un humus fertile."

      Le frein principal aujourd'hui, c'est la population. Les Rennaises et les Rennais accepteront-ils de moins prendre leur voiture, et qu'on plante des arbres devant chez eux ?

      Le frein principal aujourd'hui, c'est la population. Les Rennaises et les Rennais accepteront-ils de moins prendre leur voiture, et qu'on plante des arbres devant chez eux.  

      Bertrand Martin

      Les copropriétés, les entreprises et les particuliers, tout le monde doit pourtant participer à l'effort collectif. On ne gagnera pas la bataille sans les propriétaires fonciers.

      À quoi ressemblera l'agenda du prochain mandat ? Nos futurs élus devront sans doute accélérer sur l'adaptation de la ville au changement climatique, au-delà des actions sur le domaine public, avec l'optimisation des plantations dans les rues et la définition d'une stratégie de désimperméabilisation ambitieuse. L'image de la ville éponge peut être utilisée pour illustrer cette politique. La stratégie mise en place devra également impliquer la mobilisation des propriétaires sur le domaine privé, ainsi que les entreprises.

      L'appel à la mobilisation générale n'a jamais été autant d'actualité. À l'image de ces 227 000 Rennais qui produisent de la matière organique réutilisable dans le cadre d'une politique publique de l'arbre, chacun, c'est un fait, à un grand rôle à jouer. Alors, aux arbres, citadins !

      Jean-Baptiste Gandon