Jean Nabucet : la recherche au service du vivant

Chercheur au CNRS, Jean Nabucet scrute l'évolution du vivant et du climat, qu'il mesure en créant des instruments d'observation mis au service des politiques publiques.

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Rennes vue du ciel

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Géographe et ingénieur de recherche au CNRS, Jean Nabucet scrute l'évolution du vivant et du climat, qu'il mesure en créant des instruments d'observation mis au service des politiques publiques. Alors que la ville de Rennes s'est engagée à planter 30 000 arbres entre 2020 et 2026, il nous livre son point de vue sur cet exemple et l'urgence de changer d’échelle.

À pied, à vélo, en avion ou en drone, Jean Nabucet ne perd jamais son objectif des yeux : la Terre. Géographe de formation et ingénieur de recherche de métier, ce témoin privilégié crée des instruments d'observation destinés à accompagner les pouvoirs publics dans la mise en place de leurs stratégies.


J'ai d'abord suivi l'évolution des parcelles agricoles, puis du bocage. Il y a environ quinze ans, l'apparition des problématiques urbaines m'a recentré au cœur des villes.

Rennes est devenue pour lui un terrain d'action privilégié. "Mon objet est de développer des méthodes pour analyser comment la société interagit avec le vivant." L'arbre et le végétal, la pollution diffuse et la modélisation écologique sont pour lui autant de champs d'étude.

Du local au national : un changement d'échelle indispensable

Alors que tous les voyants sont au rouge, Jean Nabucet continue d'œuvrer pour accompagner au mieux les politiques publiques.  Cela implique la coordination des différents dispositifs d'observation sur le long terme, et surtout par la création d'un observatoire national. Onze métropoles sont parties prenantes au projet.


En matière de lutte contre le dérèglement climatique ou contre l'effondrement de la biodiversité, l'échelon local atteint vite ses limites. "L'échelon national doit primer", en attendant peut-être de voir encore plus large.

Vue d'une commune de Rennes Métropole en automne, avec des arbres colorés au premier plan et un clocher à l'horizon

Après avoir suivi l'évolution des parcelles agricoles et du bocage, Jean Nabucet s'est recentré sur les problématiques urbaines et le coeur des villes, il y a quinze ans.

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Évaluer l'état de santé du patrimoine végétal, mettre en place une stratégie de plantations d'arbres… La communauté d'agglomération de Bordeaux s'est par exemple, engagée à mettre en terre un million d'arbres dans sa métropole. Je pense que les chiffres ne sont pas importants, et que seule la volonté de toujours faire mieux compte.

Le domaine privé essentiel, mais laissé de côté

À Rennes, la ville s'est engagée à planter 30 000 arbres pendant la mandature.

Comment faire mieux ? Le problème qui se pose à nous aujourd'hui, c'est que les réserves foncières sont épuisées, et que le gros du capital végétal des villes ne se trouve pas dans le domaine public, mais privé. Or, ce dernier échappe pour l'instant à tout contrôle. Nous devons considérer l'arbre comme un bien commun, et de mettre en place des servitudes, notamment par un dispositif légal adapté.


Et Jean Nabucet de citer l'exemple des règlements de certaines zones pavillonnaires. Vous ne pouvez pas planter d'arbres de plus de 2,50 mètres de hauteur, il faut que tout soit homogène et au cordeau. Il faut absolument abandonner notre culture du claustra et du gazon artificiel.

Comment faire mieux ? Le problème qui se pose à nous aujourd'hui, c'est que les réserves foncières sont épuisées, et que le gros du capital végétal des villes ne se trouve pas dans le domaine public, mais privé.

Jean Nabucet

Des gens dans un champ en train de planter des arbres au lieu dit La Saudrais, à la Prévalaye

Pour Jean Nabucet, le choix d'essences adaptées à la nouvelle donne climatique est un enjeu crucial d'une politique publique de l'arbre.

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Parmi les outils imaginés pour améliorer l'efficacité des politiques publiques, le chercheur fonde de grands espoirs dans les Programme Exploratoires Prioritaires de Recherche du CNRS :

Huit métropoles sont aujourd'hui impliquées dans le développement de réseaux d'observation, en partie participatifs.

À l'heure où la recherche est fragilisée, il est d'autant plus important d'impliquer le maximum de bonnes volontés dans ces projets. Les jardiniers de la ville ont à mon sens un grand rôle à jouer à ce niveau.

Les jardiniers de la Ville ont un grand rôle à jouer

Jean Nabucet

Changer le référentiel des urbanistes

Si la température moyenne n'a augmenté que de 1,2 degré en cinquante ans, les scenarii d'avenir établis par le Haut Conseil Breton pour le Climat sont beaucoup plus inquiétants : on table sur un réchauffement de 4 à 6 degrés d'ici 2100", confirme Jean Nabucet.


30 000 arbres, c'est très bien, mais ce n'est qu'un début. Plutôt que d'ambition, il faut mieux parler d'efficacité, notamment au niveau de notre politique de désimperméabilisation des sols. Aujourd'hui, les villes sont d'abord des réseaux, puis des routes, et des bâtiments. Le végétal n'est pris en compte qu'en dernier. Nous continuons de penser comme dans les années 1960-70. Il faut inverser l'ordre des priorités, et les urbanistes doivent intégrer ces nouvelles problématiques.

Des gens entre ce qui ressemble à un potager (en réalité une micro-forêt) et un immeuble, square Simone Morand

À l'image de cette micro-forêt plantée square Simone Morand, la trame brune (la terre) et la désimperméabilisation des sols devront être au coeur des futures politiques publiques.

Droits réservés : Anne-Cécile Estève, Rennes Ville et Métropole

Aujourd'hui, les villes sont d'abord des réseaux, puis des routes, et des bâtiments. Il faut inverser l'ordre des priorités

Jean Nabucet

Rennes comme cas d'espèce

À la tête du laboratoire LETG (lien externe) (Littoral Environnement, Télédétection, Géomatique) ou du laboratoire RENNAT (Rennes Nature et Adaptation Territoriale) inauguré début juillet 2025, Jean Nabucet ambitionne de faire du territoire rennais un démonstrateur de ce qu'il est possible de faire. Tous les ingrédients sont réunis. Les services de la ville et leurs équipes, les élus, les chercheurs… Tout le monde avance dans le même sens. Nous devons aller plus loin ensemble, c'est toute la raison d'être du Laboratoire Commun RENNAT.

L'exemple des prairies Saint-Martin

Parc urbain de 30 hectares situé au cœur de la ville, les prairies Saint-Martin symbolisent la politique menée par la municipalité depuis plusieurs années. Les premiers suivis ont été effectués à la fin des années 2000, à l'époque où les services de la ville se sont penchés sur le cas des friches industrielles afin d'évaluer les réserves foncières de la collectivité.


Après l'épisode caniculaire de 2003, la question des zones de rafraichissement est par ailleurs devenue cruciale.


50 000 mètres cube de terre excavées, enfouissement des déchets… Les prairies ont fait face à des perturbations comme elles n'en n'avaient pas connu depuis un siècle. En 1900, nous sommes devant une prairie de fauche, et rien d'autre.

Au coeur des prairies Saint-Martin, avec des cyclistes au premier plan, et des gens se reposant à l'ombre sur la pelouse, à droite. En arrière-plan, des immeubles

En phase de réaménagement depuis plusieurs années, les prairies Saint-Martin illustrent la politique menée par la Ville en matière d'environnement.

Droits réservés : Julien Mignot, Rennes Ville et Métropole

Les récents réaménagements du parc urbain ont bien sûr impacté la biodiversité, une conséquence anticipée par la collectivité. L'ingénierie a été très poussée sur le site : on a par exemple récupéré les graines des végétaux pour les réutiliser ensuite.


"Cependant, la biodiversité n'était pas à mon sens l'enjeu essentiel des prairies." Et, le chercheur de citer une expérience de piégeage menée dans le parc urbain : sur 1500 pièges, il n'y a eu que 40 spécimens à se faire prendre. Cela signifie que la biodiversité y était très pauvre avant les aménagements successifs.


L'intérêt du suivi climatique des prairies est par contre très grand : un gradient thermique de 6 degrés a par exemple pu être mesuré entre les prairies et la rue d'Antrain, distante de seulement 200 mètres.

Les arbres des prairies sont des témoins intéressants d'un point de vue écophysiologique : nous pouvons analyser les flux de leur sève, leur capacité à pomper l'eau…

Concernant les carabes, les oiseaux et les micromammifères peuplant les prairies, le laboratoire LETG sera bientôt en mesure d'effectuer des comparaisons entre l'avant, le pendant et l'après. Du point de vue écologique, le bilan des réaménagements successifs des prairies est, dans tous les cas, très positif.

L'intérêt du suivi climatique des prairies est très grand : un gradient thermique de 6 degrés a, par exemple, pu être mesuré entre les prairies et la rue d'Antrain, distante de seulement 200 mètres.

Jean Nabucet

Planter, mais sans se planter

En attendant, la Ville de Rennes multiplie les plantations sur son territoire, y compris en bordure de la rocade. Qu'en pense Jean Nabucet ?

Ça a du sens, notamment parce que les arbres stockent le carbone. Partout où on peut planter, il faut planter. Oui mais sans se planter.

L’exemple du platane est particulièrement parlant : Cette essence a besoin de 400 litres d'eau par jour, autant dire qu'il n'y aura pas de place pour tout le monde, dans un monde de plus en plus sec. Un arbre perturbé est plus plastique, plus résilient. Il faut l'aider à faire en sorte que son système racinaire soit suffisant pour sa canopée.

Quel est actuellement le problème majeur ? On ne dispose plus de réserves foncières, donc on plante par petits bouts. On ne va pas assez loin, notamment au niveau de la désimperméabilisation des sols, mais aussi de la santé des espèces, de plus en plus souvent inadaptées à la nouvelle donne climatique. Dans cette optique, la réalisation de cartographies peut permettre de comprendre la dynamique végétative, le niveau de stress des arbres... Il faut revoir notre palette végétative, sachant qu'on connait peu certaines espèces.

Revoir la palette végétale

Quelques exemples :


Le platane : il est résilient à la chaleur mais se débarrasse de ses feuilles en cas de manque d'eau, ce qui est préjudiciable au niveau de l'ombrage.


Le chêne d'Amérique :  c'est un abruti sans aucune stratégie. En cas de sécheresse, il est capable de sacrifier des branches entières.


Le chêne pédonculé : il est très bien adapté mais pompe dans ses réserves. Cela peut devenir un problème si les épisodes de manque d'eau se répètent.


Le chêne céris : il s'agit d'une espèce méditerranéenne exceptionnelle, qui pousse avec ou sans eau.

Un chêne pédonculé vu d'en dessous

Si le chêne pédonculé est une espèce endémique, celui-ci ne semble pas le mieux armé pour lutter contre les effets du déréglement climatique.

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On court derrière !, résume Jean Nabucet pour stigmatiser notre retard. Le cadre juridique est fondamental pour pouvoir penser la ville de demain. La loi ne peut plus se contenter d’inciter, elle doit oser imposer.

Nous savons désormais que les produits phytosanitaires sont responsables de l'effondrement des bactéries permettant à l'arbre de pomper l'eau. Nous savons aussi que 80 % des insectes ont disparu de la surface de la Terre.

Jean Nabucet le sait aussi, mais ne se laisse pas abattre pour autant, à l'image de cette application pour mobile et cours d'expérimentation. Celle-ci permettra de suivre l'état de santé des arbres et surtout d'alimenter en statistiques les laboratoires de recherche.

Pour aller plus loin : lire notre Dossier spécial arbres et plantations (lien externe)


Jean-Baptiste Gandon