"Le bruit des bottes a changé" : cette rennaise a vécu la libération de Rennes le 4 août 1944

Monique Rouault, rennaise de 88 ans, raconte son enfance sous l’occupation. Pour partager la mémoire de la guerre, elle a offert au Musée de Bretagne le drapeau de la Libération cousu par sa mère, ainsi que des images filmées par son père en 1944.

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Des hommes et des femmes se tiennent debout pour célébrer le 8 mai.

Droits réservés : Musée de Bretagne

La pendule sonne midi dans la maison de Monique Rouault. Dehors, la vie suit son cours : un ami vient chercher les journaux pour les maraîchers, la voisine appelle pour un colis. Dans sa véranda baignée de soleil, Monique, 87 ans, lit calmement, entourée de plantes et de bibelots patinés par le temps. Près de soixante ans d'histoires flottent dans l'air.      

Tu es née en plein été 1937, l'année des premiers congés payés, me disait mon père. Mes copains sont partis à la mer et moi, je suis resté au bord de la "mère" et toi  . Ce trait d'humour tendre, elle le raconte avec un sourire. Monique a l'humour tranquille de ceux qui ont traversé les épreuves sans jamais perdre leur humanité.      

Lorsque la guerre éclate, elle n’a que trois ou quatre ans. Son père est mobilisé. Sa mère et sa grand-mère tiennent bon à l’épicerie familiale de la rue Pierre-Abélard, à Rennes. Elles vivent juste au-dessus. L’enfant grandit dans une atmosphère de débrouille joyeuse. Mais un jour, les sons familiers changent.

J’habitais tout près de la caserne du Colombier. Chaque matin, les soldats français passaient devant notre porte. Puis un jour, le bruit des bottes a changé. Ce n’était plus le même “pan-pan” sur les pavés. C’étaient les Allemands. Ils avaient pris la caserne. 

Monique se souvient d’une enfance presque insouciante, protégée par le calme inébranlable de sa mère. Quand ça sonnait, maman disait simplement : "On descend à la cave". Jamais une once de panique. 

L’épicerie vivait à son rythme. Tout se vendait en vrac : la moutarde tirée à la pression, le lait à la louche, le beurre conservé dans la glace. Un lieu de passage, mais surtout un lieu de lien, précieux pendant ces années suspendues.

Monique vêtue d'une chemise bleue pose devant un meuble avec bibelots. Elle a dans sa main, un pot d'étain qui servait à mesurer le vinaigre dans son épicerie

Monique a gardé ce pot d'étain qui servait autrefois à mesurer le vinaigre dans son épicerie familiale.

Droits réservés : Fleur, Rennes Ville et Métropole

En mai 1943, ses parents sont invités à un mariage en Normandie. Les deux filles embarquent à vélo : Monique à califourchon sur le guidon, sa sœur dans une poussette attachée à l'arrière. Pendant ce mariage, Rennes est bombardée. L'école de Monique est touchée.  J'aurais dû y être. Une institutrice a été tuée. C'est terrible.

Sur ordre du maire, les enfants sont envoyés à la campagne. Monique reste en Normandie, sa sœur, elle, est placée à Amanlis, au sud de Rennes. Mes parents sont venus me voir à Noël. En vélo. Une journée pour venir, une sur place, une pour repartir.  En juillet 1944, son père revient la chercher. Sur le chemin du retour, un avion les frôle.  Nous sommes descendus de vélos pour nous cacher dans le fossé. Je sens encore mes cheveux soulevés par le souffle. Je ne sais pas de quel avion il s'agissait. Mais je n'ai jamais oublié cette sensation. Avant de rentrer à Rennes, Monique rejoint sa sœur pour rester encore à l'abri quelques temps. Trop jeune quand elles ont été séparées, celle-ci ne la reconnaît pas.  Il a fallu se réapprivoiser. 

Une maman et sa fille qui arrivent en vélo - Photo d'époque en noir et blanc

La mère de Monique arrive tout juste avec sa fille cadette d'Amanlis pour fêter la libération.

Droits réservés : Capture d'écran - Film amateur de Maurice Chevallier, père de Monique Rouault.

Le 4 août 1944, Rennes est libérée. Sa mère improvise un drapeau avec ce qu'elle a : un bleu de travail, un drap blanc, un morceau de flanelle rouge. Cousus ensemble, fixés à un manche de pelle à pain. Un geste simple, immense. Ce drapeau, hissé à la fenêtre, incarne une joie pudique, une fierté retrouvée. Ce jour-là, sa mère porte aussi une broche aux couleurs alliées, qu'elle garde encore.

Cette année, Monique a fait don au Musée de Bretagne de ce drapeau cousu main, ainsi que des films tournés par son père à la Libération : sept minutes de pellicule, sept minutes de mémoire vivante. On y voit les ruines de la Poste, les soldats américains aux carrefours, les régiments en marche.

Ce don n'est pas qu'un objet d'histoire. C'est un acte de transmission. Pour que la mémoire perdure, dans cette simplicité grave et lumineuse qui, elle aussi, est un héritage.  

Fleur Gueutier

Le drapeau bleu blanc rouge donné par Monique Rouault

Droits réservés : Alain Amet, Musée de Bretagne

  Dans la nuit du 3 au 4 août 1944, les Allemands évacuent la ville en cours d'encerclement par les alliés. Maurice Chevallier, père de Monique Rouault, donatrice du film avec sa soeur, souhaite alors filmer les destructions perpétrées par les Allemands avant leur départ, mais dut attendre l'après-midi que la ville soit plus sûre pour sortir. Il réalisa un premier petit film à cette occasion, où l'on voit les images des destructions et les soldats américains arrivant dans Rennes. Les premières images sont celles du quartier du Colombier, où vit la famille Chevallier : rue du Vieux Cours, rue de Plélo... on y voit l'enseigne de leur épicerie, rue Pierre Abélard. Plus tard en 1945, le film montre la fête de la Saint-Georges, en avril à Rennes, avec des défilés d'enfants, de scouts, sur l'esplanade du Champ de Mars, auquel Monique Rouault, a participé, âgée de 8 ans. On y voit encore les dégradations des bâtiments, l'école du boulevard de la Liberté sans toit, et la présence de baraquements. Le film se termine le 8 mai 1945, avec des images de la famille, place de la Mairie pour la fête de la Victoire, lors du défilé des régiments.Collections Musée de Bretagne, don de Mesdames Monique Rouault et Yvette Robinault, CC-BY-NC