Comment l'école délie et valorise les langues

À l'école Torigné, les parents apprennent le français, et les enfants leur langue maternelle. Ces cours en réciproque créent des liens, apportent de la confiance et dopent la réussite des élèves.

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Des enfants et une enseignante écrivent le même mot en plusieurs langues sur une ardoise.

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

Tous les mercredis, un groupe de mères du Blosne retournent à l'école Torigné, où sont scolarisés leurs enfants, pour apprendre le français. Les enseignants les plongent dans des situations de la vie courante. Gérer un entretien avec la maîtresse, prendre un rendez-vous chez le médecin, faire ses courses au marché... Des exercices pour enrichir son lexique, dialoguer par le jeu, et des sorties en vrai à la bibliothèque, au musée ou pour visiter le centre-ville.

Dans les deux sens

Depuis trois ans, l'opération nationale « Ouvrir l'école aux parents pour la réussite des enfants » (Oepre), est proposée au sein de l'école Torigné, classée en Réseau d'éducation prioritaire. Une quinzaine de femmes suivent la formation gratuite, 1h30 par semaine. Je viens tout le temps. Je peux aider ma fille dans ses devoirs, je comprends mieux ce qu'elle écrit et lit, apprécie Aysen Elanur, arrivée de Turquie en France il y a 16 ans.

L'expérience se révèle instructive pour l'équipe enseignante. On voyait les mamans très intimidées, elles se tenaient à distance de l'école. On le percevait comme un manque d'intérêt. Mais quand on leur a proposé cette formation, elles sont venues, motivées. Il y a de l'entraide entre elles, observe Sylvaine Amary, enseignante en CM1 et volontaire pour dispenser les cours de français adulte.

96 % d’élèves bi-plurilingues

Effet miroir, pendant ce temps, des élèves de Torigné étudient leur langue maternelle. Ils sont une soixantaine, du CE1 au CM2, à suivre des leçons de turc et d'arabe, les Enseignements optionnels de langues vivantes étrangères (Eile) et Enseignement de la langue et de la culture d'origine (Elco).  Ils progressent dans leur langue maternelle et prennent conscience que c'est une valeur ajoutée. Cela les met en sécurité affective, et ça débloque plein de difficultés, note Sylvaine. L'enseignante prépare une thèse avec le laboratoire Prefics, de l'université Rennes 2, sur « les pratiques et les représentations du plurilinguisme à l'école vers la réussite des élèves en Réseau d'éducation prioritaire ».

L'enjeu est de taille. À Torigné, seuls 4 % des élèves parlent uniquement le français à la maison. Autrement dit, ils sont 96 % à être bi-plurilingue. Parmi les langues les plus représentées figurent les arabes, le turc, l'anglais, le mahorais, les berbères, le comorien, le kurde, le lingala, le malgache, le pachto, l'espagnol, le portugais, l'italien, le russe et le tchétchène. Une diversité à l'image de l'arbre polyglotte réalisé par les écoliers.

Des enfants échangent avec une enseignante en classe

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

Soutien de laboratoires de Rennes 2

Cette singularité interpelle l'équipe éducative. Sommes-nous formés pour enseigner aux 96 % d'élèves bi-plurilingues ? Nos méthodes pédagogiques sont-elles adaptées à seulement 4 % de nos élèves ? Faut-il repenser le statut du français dans l'école ? 
Pour tenter d'y répondre, un partenariat avec le laboratoire Lidile (Linguistique ingénierie et didactique des langues) de l'université Rennes 2 a été noué. Des productions orales et écrites des CP au CE2 ont été collectées et analysées.

En classe, le chant en plusieurs langues est encouragé, de même que la traduction régulière à l'oral et à l'écrit d'un mot en plusieurs langues sur le temps de classe. Les leçons intègrent de la grammaire comparée des langues. L'occasion pour tous les élèves d'apprendre qu'en turc, par exemple, il n'existe pas de genre. Cela créé des ponts et permet de mieux saisir les difficultés des élèves et d'éviter les moqueries quand un enfant se trompe de déterminant. Au-delà des langues, chacun apprend à vivre ensemble.

Droits réservés : Arnaud Loubry, Rennes Ville et Métropole

Des aides complémentaires

La Ville propose un service d'interprétariat gratuit aux parents allophones des quartiers prioritaires pour les entretiens individuels scolaires ou médicaux, pour s'inscrire à la crèche ou au soutien scolaire. Ce sont les interprètes du réseau Louis-Guilloux, par le biais d'une convention, qui interviennent. Avoir recours à un interprète permet de repositionner les parents et l'enfant à leurs places, relève Delphine Commelin, responsable du service municipal Actions éducatives renforcées.
Depuis quatre ans, les besoins augmentent. En 2024, on recensait 381 heures d'interprétariat pour un niveau équivalent atteint dès l'été 2025.

Des ateliers d'acquisition du français « Parlons français, la langue de nos enfants » existent également à Bréquigny, Maurepas, le Blosne et Villejean. À raison de trois heures d'enseignement par semaine, cette formation gratuite est destinée aux parents d'élèves scolarisés de la maternelle jusqu'au collège.

Le projet de réussite éducative soutient encore les enfants en difficulté dans l'acquisition de deux langues. Des travailleurs sociaux de la Ville identifient les blocages dans le parcours scolaire de l'enfant et, selon, orientent vers des séances d'orthophonie, font le lien avec l'école, et développent des projets de valorisation des langues. Comme à l'espace parents des écoles Gantelles et Trégain, traduire des mots dans les langues des parents crée un sentiment d'appartenance. Tous ces dispositifs portent leurs fruits. Des mamans interviennent. C'est aussi une première porte d'entrée pour elles vers l'insertion professionnelle. 

Des femmes avancent dans un couloir d'école au-dessus duquel est inscrit la devise Liberté Égalité Fraternité

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