L’incendie du Parlement de Bretagne

Le 4 février 1994 est une date à jamais gravée dans la mémoire des habitants de la capitale bretonne : le Parlement s’embrase. Retour sur le déroulé des événements et sur la renaissance du phénix breton.

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Une foule de gens se regroupe de nuit devant le parlement en feu.

Droits réservés : Fonds des archives de Rennes

La manifestation dégénère

En 1994, la baisse des prix du poisson, la concurrence des pays européens et la chute des ventes entraînent une crise profonde dans le milieu de la pêche.

Le 4 février, le Premier ministre Édouard Balladur est en déplacement à Rennes : il doit signer le contrat de plan État-Région. De quatre à cinq mille pêcheurs décident de rejoindre la capitale bretonne pour manifester et réclamer des mesures d’urgence.

Devant la préfecture, ils se heurtent aux boucliers des CRS. Ils se dirigent alors vers le centre-ville, mais la manifestation dégénère en émeute. Des pavés sont lancés, plusieurs vitrines de magasins sont brisées et de violentes confrontations s’engagent avec les forces de l’ordre.

En fin d’après-midi, une fusée éclairante traverse les ardoises du toit du Parlement de Bretagne et se niche dans la charpente en bois. Le feu couve sous les combles du palais pendant plusieurs heures, sans attirer l’attention. 

Des pêcheurs manifestent dans les rues de Rennes.

Les pêcheurs se sont rassemblés à Rennes pour demander des mesures d'urgence. 

Droits réservés : Fonds des Archives de Rennes

L’épreuve du feu

L’alerte est donnée peu avant minuit et demi. Il faut deux minutes aux vingt premiers sapeurs-pompiers pour rejoindre la place du Parlement. Les ardoises éclatent une à une sous l’effet de la chaleur, découvrant progressivement une charpente ardente.

Devant l’importance du brasier, le chef de garde demande des renforts immédiats. La majeure partie des pompiers de garde du district de Rennes se rend sur les lieux. Trente minutes après le signalement de l’incendie, cinquante-deux hommes sont sur place.

À minuit quarante, l’ensemble des combles est embrasé et les flammes, attisées par un fort vent d’ouest, menacent de se propager aux bâtiments voisins : six personnes habitant à proximité, rue Hoche et rue Salomon-de-Brosse, sont évacuées. Le réseau d’eau de la ville étant insuffisant pour alimenter les lances, des tuyaux sont déroulés pour pomper l’eau dans la Vilaine.

Coordonnés par le Centre opérationnel départemental d’incendie et de secours, des pompiers de tout le département d’Ille-et-Vilaine viennent prêter main-forte aux équipes déjà en intervention. Le feu est perçu à dix kilomètres à la ronde. À deux heures du matin, on compte sur place plus de cent cinquante sapeurs-pompiers et seize engins.

Après avoir lutté à l’extérieur du palais, ils progressent à l’intérieur du brasier armé de cinq lances et d’une grande échelle. À deux heures et quart, le feu est éteint.

À trois heures, il ne reste plus que les murs de pierre : les dégâts matériels sont considérables et rien ne subsiste de la couverture de l’édifice qui s’est effondrée sur le premier étage. Le plafond de la salle des pas perdus, directement accroché à la charpente, est détruit. Deux pompiers sont gravement blessés lors de l’écroulement d’un plafond.

Pierre Méhaignerie, ministre de la Justice et président du Conseil général, le préfet, le procureur de la République et Edmond Hervé, maire de Rennes, sont sur les lieux. Plusieurs milliers de spectateurs, silencieux et médusés, se rassemblent pour assister au sinistre. La ville est sous le choc.

Vers cinq heures, le feu est officiellement maîtrisé, mais des tonnes de braises menacent encore. Toute la journée du samedi, les pompiers éteignent des reprises sporadiques. Ils restent sur place pendant huit jours et surveillent les ruines du palais.

Un pompier est assis sur une chaise dans les décombres de l'incendie.

Le feu est éteint, mais les dégâts matériels sont considérables. 

Droits réservés : Fonds des Archives de Rennes

Sauver de qui peut l’être

Dès deux heures du matin, tandis que l’incendie ravage la charpente, une étroite collaboration entre les sapeurs-pompiers et les professionnels du patrimoine se met en place afin de sauver le mobilier et les tapisseries du palais.

Un poste de commandement est installé rue Hoche afin d’organiser les opérations. Il réunit Jean-Michel Germaine et Christophe Amiot (architectes des bâtiments de France), Alain-Charles Perrot et Nicolas Simonnet (architecte en chef et conservateur régional des monuments historiques), Christian Coüasnon (architecte rennais) ainsi que des documentalistes, des agents de la Direction régionale des affaires culturelles, du musée des Beaux-arts de Rennes et des soldats du 16e régiment d’artillerie.

Les toiles, si elles n’ont pas été détruites par le feu, sont endommagées par l’eau et évacuées par les fenêtres du bâtiment. L’accent est mis sur la protection de la Grand’chambre, pièce principale du palais : les tapisseries sont brumisées par les pompiers. Tous les éléments sauvés, des tapisseries aux dossiers de la correctionnelle, sont étiquetés et classés. 

Les pompiers évacuent les objets qui peuvent sauvés pendant que des gens observent.

Des toiles ont été endommagées par l'eau. Elles sont évacuées par les fenêtres du bâtiment.

Droits réservés : Fonds des Archives de Rennes

Si les sous-sols sont quasiment intacts, on déplore la démolition totale de la charpente et du deuxième étage, du bureau du procureur, de la bibliothèque des magistrats, de la salle des pas perdus. Le plafond de la Grand’chambre, suspendu à une structure de fer et brique réalisée au XIXe siècle, a échappé à la destruction et la majeure partie des œuvres d’art et des tapisseries a pu être épargnée.

Après l’incendie, il faut stopper la dégradation du bâtiment : la tâche est immense. Les plafonds des galeries du premier étage, sur lesquels pèsent les gravats gorgés d’eau, risquent de s’effondrer. Des mesures sont prises pour étayer et renforcer les maçonneries. Des restes de charpente sont démontés tandis que les cheminées sont consolidées par des fers souples et plats. Il faut aussi déblayer les débris avec précaution et récupérer le moindre vestige qui a résisté aux flammes.

Afin de protéger le bâtiment du froid et de l’humidité, un toit de tôles métalliques et de plaques translucides est installé. Le taux d’hygrométrie s’élève à 95 %. Des machines absorbent l’air humide et rejettent de l’air sec.

Vue sur le Parlement après l'incendie avec des échafaudages et un toit de tôles en métal.

Un toit de tôles métalliques et de plaques translucides est installé afin de protéger le bâtiment des intempéries. 

Droits réservés : Fonds des Archives de Rennes

Renaissance

Reconstruire à l’identique

Après le déblaiement, il s’agit de penser à l’avenir du monument historique qui abritait la cour d’appel et la cour d’assises. L’État et les collectivités locales s’engagent à procéder à sa reconstruction en vue de la réinstallation des juridictions en son sein.

La reconstruction du Parlement de Bretagne est envisagée avec fidélité, l’ensemble du palais ayant fait l’objet de relevés suffisamment précis, avant et après l’incendie. Les éléments récupérés sont également utilisés comme modèles lors de la restauration des décors.

Le ministère de la Justice, affectataire de l’édifice, assume la charge des travaux qui portent sur la reprise des maçonneries, la restitution de la toiture d’ardoise et la remise en place des planchers.

Le ministère de la Culture, en partenariat avec le ministère de la Justice et l’Association pour la Renaissance du Palais du Parlement de Bretagne (A.R.P.) conduit la restauration des prestigieuses salles décorées du Parlement.

Toiles et tapisseries

Au cœur du bâtiment, des restaurateurs s’affairent pour sauver les dorures des panneaux et plafonds. Mais ce sont les toiles et les tapisseries qui exigent un maximum d’attention.

Les peintures nécessitent un séchage lent, une mise sous presse pour prévenir une déformation ainsi qu’une protection contre les champignons. Un responsable du laboratoire de microbiologie des monuments historiques effectue des analyses afin d’adapter les traitements antifongiques.

Les toiles sont démontées de leurs encadrements et installées à plat afin d’éviter qu’elles ne se distendent. L’écaillage est endigué par la pose de bandes de papier japon. La dernière étape consiste à restaurer les couches picturales. Dès le 5 février, les Ateliers de Versailles prennent en charge, une soixantaine de toiles. Au total, 73 toiles ont pu être sauvées du sinistre.

Épargnées par les flammes et retirées de l’édifice pour être restaurées, les tapisseries monumentales de la Grand’chambre et de la Salle du conseil auraient dû regagner Rennes à la fin des travaux de reconstruction. Mais, nouveau coup du sort, une dizaine d’entre elles partent en fumée, en 1997, dans l’incendie de l’un des ateliers parisiens chargés de leur restauration. 

Deux personnes sont assises devant les toiles endommagées avec pinceaux et peinture afin de les restaurer.

Les toiles du Parlement entre de bonnes mains.

Droits réservés : Fonds des archives de rennes

Et aujourd'hui ?

En février 2000, les quatre sculptures allégoriques, la Force, la Loi, l’Éloquence et la Justice sont réinstallées sur la toiture du Parlement. L'événement marque un tournant : le traumatisme s'estompe et les dernières étapes de ce long parcours peuvent commencer. 

Il est temps de s'attaquer au décor de la Grand'chambre. Le problème aurait été insoluble sans l'idée de Guillaume Kazerouni, conservateur du musée des beaux-arts de Rennes. Les tapisseries ont été réalisées à partir de modèles peints, appelés cartons. Il faut remettre la main dessus. 

On les retrouve dans les réserves et combles du musée des beaux-arts, de la mairie, de la préfecture, de l'université, etc. Même abîmés, ils se révèlent dignes d'intérêt pour remplacer la tenture du Parlement. Ces œuvres originales d'Édouard Toudouze et Auguste Gorguet, hautes de 5 mètres, sont alors nettoyées puis restaurées pour reprendre vie. Le projet mobilise près de 200 personnes sur 10 ans. Et aussi des financements conséquents.

Le résultat est à la hauteur du travail fourni. En septembre 2025, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, les quatre derniers cartons restaurés ont trouvé leur place dans la grand’chambre. Ils offrent une richesse chromatique qu'avaient perdu les tapisseries au fil des décennies. 

Les visiteurs peuvent aujourd'hui découvrir la richesse de ce décor considéré comme le plus bel élément patrimonial rennais. En attendant la suite. 

Ultimes témoins des tapisseries monumentales disparues lors de l'incendie de 1994, des cartons peints retrouvent aujourd'hui leur éclat et prennent place sur les murs de la Grand'Chambre du Parlement de Bretagne. Des chefs-d'œuvre historiques à découvrir gratuitement lors des Journées du matrimoine et du patrimoine.  

(00:05) C'est le premier grand cycle où on raconte un peu en grande pompe comme on aimait le faire au 19e siècle l'histoire de la Bretagne de Jules César jusqu'à Henri I au moment de l'entrée du roi Henri 4 à Rennes. Le Parlement de Bretagne pendant sa restauration dans les années 1890 a bénéficié d'un nouveau décor composé de 20 tapisseries.

Et pour faire ces tapisseries, il avait fallu faire avant des tableaux à l'échelle des tapisseries qui allaient servir de modèle qu'on appelle des cartons. Les cartons plus les tapisseries ont été envoyés au fur et à mesure pour un certain nombre. Les tapisseries ont été posées au parlement et puis pour huit des cartons et ils ont été dispersés dans la ville.

Les choses sont restées comme ça jusqu'à la seconde guerre mondiale où petit à petit ces tablons ont été enlevés et rangés dans les réserves. Et au final cette histoire a un peu disparue. Histoire qui est assez fondamentale avec le recul. L'exposition qu'on a fait en 2016 a permis de le montrer.

 C'est ici la plus grande entreprise de la manufacture des gobelins jamais réalisé de l'histoire de la manufacture qui existe quand même que le 17e siècle pour un seul bâtiment. Donc c'est presque 25 années de tissage. C'est énorme. Petit à petit voir le décor intégré ces lieux. Et oui, c'est  émouvant, c'est quelque chose de fort puisqu'on y a participé.

C'est un décor qui est assez riche. Donc il y a beaucoup de subtilités. C'était effectivement un chantier de longue durée, de grande ampleur. Il a nécessité donc pour chacun des cartons environ 8 semaines de travail. C'est une grande satisfaction d'abord que ces œuvres soient restaurées et puis ensuite que le public puisse les voir parce qu'elles sont magnifiques ces œuvres et évidemment il y a rien de plus triste quand vous avez des œuvres magnifiques quand personne les regarde.