Yaouank : le grand rendez-vous d'automne

Des milliers de festivaliers pénètrent chaque année dans la ronde de Yaouank, le plus grand fest-noz de Bretagne et peut-être du monde. « Yaouank », ça veut dire jeune. Le festival rennais, qui a vu le jour en 1999, n’a pas pris une ride. 

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Une foule assemblée devant un bagad qui se produit sur scène.

Droits réservés : Christophe Le Devehat

Tous les ans, Yaouank met les amateurs de gavotte (lien externe) sous hypnose. Le rendez-vous d’automne déploie une force d’attraction qui repose sur l’originalité de propositions artistiques, rendant le plinn (lien externe) in et la gavotte hot. Mais il y a aussi la convivialité, jamais démentie : si la musique adoucit les mœurs, alors la bombarde (lien externe) est une arme de paix massive.

Engouement

« Pour comprendre la création de Yaouank, il faut remonter à la fin des années 1990 et au Comité consultatif à l’identité bretonne, qui regroupait des associations, des intellectuels et des élus. Sa réflexion portait sur la langue régionale, son enseignement dans les écoles, etc. » explique Glenn Jégou, créateur de l’événement. La question de la jeunesse est logiquement arrivée sur la table et, avec elle, « le projet d’un immense rendez-vous, comparable à ce qui se faisait à Cléguérec (56), la Mecque du fest-noz. »

Le succès de la première édition, organisée en octobre 1999, dépasse toutes les espérances : « Nous attendions 2 500 personnes, il y en eut deux fois plus. » Au fil des ans et des pas de danse, la soirée unique s’allonge et devient multiple, les bars s’en mêlent et les créations deviennent une tradition. Des affiches prestigieuses et de jeunes talents mettent le feu au plancher pour créer une prodigieuse effervescence. « Notre chance est que, en parallèle, Rennes est devenue le laboratoire des musiques bretonnes actuelles ».

« Un fest-noz, c’est avant tout de la danse. Et une gavotte reste une gavotte, c’est-à-dire que les musiciens doivent respecter un temps par exemple. » À Yaouank, la modernité règle son pas sur le pas du passé, mais pour mieux regarder devant : « On peut très bien imaginer une gavotte à la mode human beat box, avec Krismenn et Alem par exemple. » Avec des sonneurs de couple ou en mode kan ha diskan (lien externe), électro ou punk-noz, le spectre du fest-noz est super large, d’esprit et d’accords.

En 2019, Yaouank fête ses 20 ans. Les amateurs et curieux répondent présents. Le temps n’a pas prise sur l’événement breton préféré des Rennais. Comme si les musiques et les danses bretonnes étaient, telle une potion magique, source d’éternelle fraîcheur. Et il en faut pour participer au plus grand fest-noz de Bretagne, cette année-là, au Parc Expo : « Le plus grand, mais aussi sûrement le plus long, puisqu’il commence à 16 h pour s’achever le lendemain à l’aube ».

2024 signe le grand retour du festival au Liberté, en plein cœur de la ville. Pour Kemo Veillon, nouveau directeur artistique de Yaouank : « Le centre-ville facilite pas mal de choses en termes d’accessibilité. » Et puis, surtout, c’est là que tout a commencé.

L’engouement pour la mode musicale bretonne ne marque-t-il pas le pas après la grande vague des années 1990, portée par Ar Re Yaouank, Alan Stivell ou Dan Ar Braz ? Pour le jeune homme, la réponse est négative. Il y a depuis quelques années de nombreux groupes émergents. « Une anecdote pour cette année (2025), on n’a jamais eu autant de jeunes artistes à se produire sur scène. Alors effectivement, il y en a qui sont un peu plus âgés, je pense à Sonerien Du, mais il y a beaucoup de découvertes. Et on essaie aussi d’accroître la visibilité des femmes, on en a pas mal pour cette édition. » L’enthousiasme du public reste bien réel. 

⏩ Toute la programmation à retrouver ici (lien externe).

Des gens se prennent par la main lors du grand fest-noz Yaouank.

Dédié aux musiques bretonnes urbaines, Yaouank est aussi le plus grand fest-noz de Bretagne.

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« Sans hier et sans demain, aujourd’hui ne vaut rien. » Cette citation de Pierre Jakez Hélias illustre parfaitement la modernité des traditions bretonnes. Pas de deux entre hier et demain, l’événement est d’autant plus accueillant que la plupart des propositions artistiques sont accessibles.

Le grand fest-noz de clôture, soit plus de 12 heures de musique, coûte une trentaine d’euros et un peu moins en prévente, ce qui représente la majorité des billets achetés. Les titulaires de la Carte Sortir paient 15 € et le festival est gratuit pour les moins de 18 ans. « Ça reste une soirée accessible. Quand on voit les prix des autres concerts, qui sont plutôt entre 50 et 70 €, on se dit qu’on est quand même bon marché par rapport aux autres productions .», commente Kemo Veillon. Surtout, il y a les à côtés : des concerts dans les bars et autres lieux de Rennes et alentour. De nombreuses propositions sont en entrée libre.

Pour Glenn Jégou, « Yaouank, c’est une esthétique, mais aussi une culture du partage, une mixité sociale et géographique très forte. Un grand moment de bienveillance et de communion, aussi. C’est peu de le dire, mais ici, des gens qui ne se connaissent pas se tiennent par la main ! » Et c’est vrai que ça fait rêver, tant il est devenu difficile de croiser un regard quand nos cerveaux sont captés par les écrans. 

⏩ Rendez-vous sur la billetterie (lien externe) du festival.

Des jambes et pieds s'agitent au rythme de la musique sur la piste éclairée par les lumières de différentes couleurs.

À Rennes, les voies menant aux danses bretonnes sont aussi nombreuses que les genres chorégraphiques.  

Derrière Yaouank, Skeudenn Bro Roazhon

Né à la fin des années 1970, l’Union du Pays rennais des associations culturelles bretonnes (UPRACB) regroupe une poignée d’irréductibles aux premiers rangs desquels le bagad Kadoudal, le Cercle celtique de Rennes, les associations Diwan, Kevrenn de Rennes et Skol An Emsav. Une oasis où la culture bretonne peut plonger ses racines et fleurir.

Culture bretonne

Au fil des décennies, la fédération, rebaptisée Skeudenn Bro Roazhon (lien externe) en 1998, ne cesse de progresser. Elle compte aujourd’hui plus de 50 associations membres et au-delà de 4 000 adhérents et adhérentes. « Skeudenn regroupe notamment des ensembles musicaux, dont cinq bagadou, ainsi que douze ensembles chorégraphiques. Parmi eux, certains jouent le rôle d’ambassadeurs de la ville aux quatre coins du globe », commente Glen Jégou.

Musique et danses, mais aussi jeux, car oui, on se divertit également en breton. N’oublions pas le sport, à l’image de la lutte gouren (lien externe). Tout cela nourrit les espoirs d’une région soucieuse de ne pas faire de la culture bretonne un musée, mais bien plutôt une culture traditionnelle en prise avec la société. C’est ce pour quoi Skeudenn Bro Roazhon œuvre depuis sa création. Forcément, Yaouank est son événement phare.

Des ombres de personnes dansant et se tenant par la main sont projetées sur un plancher.

Née d'une envie de plus de Bretagne, Skeudenn Bro Roazhon fédère aujourd'hui une cinquantaine d'associations.  

Langue bretonne

« L’idée que Rennes n’est pas une ville de langue bretonne repose sur une vision éculée de sa pratique et de son développement. La culture de notre région s’est fortement urbanisée, la plupart des Bretons vivent en ville. La Bretagne, c’est Brest, Nantes, Lorient, Rennes, etc. »

En 2024-2025, 1 000 élèves sont scolarisés en langue bretonne et Rennes se classe première ville devant Quimper et Brest. « Pour information, la première filière bilingue publique a été créée ici, en 1978. C’est également à l’Université Rennes 2 que fut mis en place le premier cursus entièrement breton. » La langue est la colonne vertébrale d’une culture. Le reste en découle.

Le créateur de Yaouank remarque que le breton intéresse aussi ceux qui ne le sont pas : « Nous pouvons prendre l’exemple de l’école des Gantelles, située à Maurepas, un quartier populaire plutôt cosmopolite de Rennes. Nous avons constaté que des gens issus de l’immigration s’essaient à la langue bretonne. De manière générale, beaucoup de non-Bretons s’y mettent, ce qui démontre encore la force d’attraction de notre culture. »

Comment faire cohabiter breton et gallo ? « Nous sommes dans une logique de complémentarité et, d’ailleurs, Skeudenn accueille des associations œuvrant pour la promotion de la culture gallèse. Petite anecdote rigolote : toute la signalétique de Yaouank est bilingue… Je ne parle pas du français, bien sûr, mais du breton et du gallo ! »

Sur scène, les musiciens d'un bagad jouent sous la houlette du chef d'orchestre.

Le bagad, trait d'union entre modernité et tradition.  

Le bagad, star de Yaouank

Quelques noms

L’histoire du bagad commence à Rennes : Polig Monthjarret y rencontre Dorig Le Voyer, musicien et facteur d’instruments, qui lui enseigne la bombarde et le biniou. Les deux hommes tissent des amitiés, notamment avec des membres du Cercle Celtique. Ils découvrent la richesse des traditions bretonnes. En 1943, ils fondent Bodadeg Ar Sonerion (BAS), une association destinée à préserver et transmettre la musique traditionnelle bretonne, en particulier le couple biniou-bombarde, menacé de disparition après la Première Guerre mondiale.

À travers des camps d’été ou des groupes locaux de formation, BAS entend constituer une nouvelle génération de musiciens et s’implanter sur l’ensemble du territoire breton. Il collecte aussi des airs bretons avant qu’ils ne sombrent dans l’oubli. Surtout, le mouvement donne naissance au premier bagad, un ensemble réunissant bombardes, cornemuses et percussions.

Bob Haslé, ancien président devenu vice-président du BAS 35 (lien externe), est « né à la musique bretonne à l’âge de 8 ans ». En 1953, il assiste au défilé de la Fête des fleurs à Rennes, avec chars, formations musicales et… bagadou. Cette musique ne l’a plus quitté. Dès 1954, il est inscrit à Yaouankiz Breizh, puis il rejoint le bagad Kadoudal à 14 ans. Alors qu’il en est le penn-sonneur (chef sonneur), le bagad accède pour la première fois au titre prisé de champion de Bretagne.

Bob Haslé a mis sa passion au service du plus grand nombre. En 1975, il crée le bagad de Vern-Sur-Seiche, qui reprend le nom de Kadoudal lorsque le bagad rennais cesse d’exister. Puis, il s’investit dans la relance de BAS 35 à la fin des années 1970.

Le BAS rassemble aujourd’hui 10 000 musiciens dans 150 bagadou, en Bretagne et au-delà : en Guadeloupe, à New York… Une autre façon de dire que la Bretagne ne connaît pas de frontières.

Trois instruments, ou plus

Héritier des pipe-bands écossais, le bagad a ajouté aux cornemuses et aux batteries un instrument traditionnel breton : la bombarde, dont les mélodies stridentes emplissent régulièrement l’atmosphère des festou-noz. Les bagadou fonctionnent de manière invariable sur la base de ces trois pupitres et sont dirigés par le penn-soner. Véritable chef d’orchestre, il donne le la à cet impressionnant ensemble, qui peut parfois atteindre plus de soixante musiciens !

  • La bombarde appartient à la famille du hautbois. L’instrument à anche double, taillé dans l’ébène, le buis ou du bois fruitier, connaît son apogée au XIXe siècle en Cornouaille, dans le pays vannetais et dans le pays de Loudéac, où le sonneur de bombarde jouait des airs à danser et des mélodies. La bombarde en si bémol a rapidement trouvé sa place au sein des bagadou et attire de plus en plus de femmes.
  • La cornemuse écossaise, le Great Highland Bagpipe, est celle utilisée par les musiciens des bagadou.
  • Les percussions sont variées : plusieurs caisses claires écossaises sont accompagnées d’une grosse caisse. Ce tambour de grande taille qui donne un son grave et puissant date du Moyen-Âge et apparaît dans les orchestres au XVIIIe siècle. Les musiciens utilisent aussi des toms, débarqués en Europe dans les années 1930 avec l’arrivée du jazz : de dimension variable, ils sont fixés sur des trépieds et sont frappés par des mailloches à tête dure ou feutrée, ou par des balais en métal. Les batteurs utilisent également de temps à autre des cloches tubulaires, des gongs, des cymbales et même des djembés.
  • Le bagad invite parfois d’autres instruments (guitare, basse, contrebasse, etc.) lors des concours ou des concerts. Le but ? Proposer de nouvelles interprétations du répertoire traditionnel, en confrontant la culture bretonne à d’autres expressions artistiques, comme le jazz, la musique classique, le rock, etc. Ainsi, le trompettiste Youenn Le Cam a signé une création (lien externe) d’envergure avec le Bagad du Bout du Monde en mêlant trompette, chants et instruments du bagad.
Sur scène, des musiciens alignés jouent des percussions.

Le bagad n'en serait pas un sans ses percussionnistes.  

Le Fest-noz, transe bretonne

À l’origine petite fête spontanée entre voisins, le fest-noz, a pris, dans les années 1950, les traits d’une fête organisée, ouverte à tous. Inscrit depuis décembre 2012 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (lien externe), il s’agit d’un art bien vivant, ancré dans le patrimoine culturel et dans le quotidien.

« Aujourd’hui, on compte environ 1 000 à 1 500 fest-noz par an, qu’ils rassemblent 150 à 200 personnes ou des milliers, comme Yaouank », explique Ronan Guéblez, président de Dastum Breizh (lien externe). Pourtant, en 1940, cette pratique, née en Centre Bretagne, avait quasiment disparu. « C’était à l’origine une fête entre voisins, après les travaux des champs, l’arrachage des pommes de terre, par exemple. » Quoi de plus naturel, quand des gens se retrouvent entre eux, que de chanter ? « Il y a à l’époque, pour accompagner les danses, beaucoup plus de chanteurs que de sonneurs, avec en particulier le kan ha diskan, chant en couple. »

C’est dans les années 1950 que le fest-noz prend son essor, « sous l’impulsion de plusieurs personnes, dont Loiez Ropars, et sous une forme différente ». La fête privée devient une fête organisée dans des salles pouvant accueillir des dizaines, voire des centaines d’amateurs. Elle est ouverte à tous, avec entrée payante, « comme un bal ».

Des gens se prennent par la main et dansent. Ils sont très nombreux.

Droits réservés : Christophe Le Devehat

De génération en génération

Le premier fest-noz mod nevez (nouvelle mode), organisé en 1955 à Poullaouen (29) a su creuser son sillon bien au-delà de sa terre d’origine, à l’image des Bretons quittant les champs pour la ville et franchissant les frontières. Des années 1950 à 1970, le fest-noz, et sa version de jour, le fest-deiz, restent principalement chantés et limités au Centre Bretagne.

« Début des années 1970, c’est l’explosion, dans le sillage d’Alan Stivell. C’est alors toute une génération, la jeune, qui est décomplexée. » Le fest-noz s’étend alors à toute la Bretagne, des groupes se créent, les instruments, anciens et modernes, se côtoient. « C’est le mélange de la culture et du plaisir. »

Après un reflux dans les années 1980 et une recrudescence dans les années 1990, « le fest-noz s’est désormais banalisé. Il draine une clientèle mélangée, même s’il semble moins attractif pour les jeunes. Ce qui perdure, c’est qu’il reste un événement pour s’amuser après le travail. »

Points communs

L’aspect convivial et la mixité sociale et intergénérationnelle sont deux éléments mis en avant dans le dossier de candidature pour l’inscription au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. C’est aussi une pratique présente dans le quotidien, loin de tout folklore. « Personne ne se met en costume pour aller au fest-noz ! »

Chaque fest-noz a son ambiance et ses couleurs, du grand rassemblement d’été en plein air à l’atmosphère plus confidentielle des petites salles conventionnelles l’hiver. Mais ils ont tous un point commun. Pour Roanan Guéblez, « c’est un lieu où se retrouvent musiciens amateurs et professionnels. Ce libre accès au micro est l’une des caractéristiques des fest-noz. Tous les musiciens actuels de la scène pro ont démarré comme amateurs. »

Des gens de tous les âges dansent dans une salle décorée par des fanions. À l'arrière plan, le bagad.

Fest-Noz des jeunes talents au Parquet de Bal à Villejean.

Droits réservés : Arnaud Loubry

Après Yaouank : où se déhancher ?

En mode flashmob, bal sauvage ou tout au long de l’année, les idées ne manquent pas pour rentrer dans la ronde des danses bretonnes. 

  • Dans un des cercles celtiques sur le territoire de Rennes Métropole pour danser en mode loisir ou au sein d’un ensemble chorégraphique. 
  • Dans une association étudiante : l’ASCREB à Beaulieu et Kejadenn à Villejean.
  • Dans un bistrot : on peut s’offrir un pot au Ty Anna et au Mod Koz, mais aussi quelques pas de danse, en toute convivialité.
  • En mode sauvage. De plus en plus en vogue, les bals sauvages organisés dans l’espace public se servent des réseaux sociaux pour lancer leurs alertes à la bombarde. Pour les plus sages, guetter la fin du marché des Lices peut également réserver de bonnes surprises.
Gros plan sur des mains qui se joignent.

Moment de convivialité, le fest-noz vaut autant pour la musique et la danse que les liens sociaux qu'il permet de tisser.