L’Écomusée de la Bintinais : à la croisée du patrimoine et du vivant

La Bintinais était une ferme aux portes de Rennes. En 1987, elle est devenue Écomusée : expositions, animations, parcelles cultivées, animaux. Le musée, mémoire de la vie rurale, attire aujourd'hui un large public.  

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Vue de l'extérieur du bâtiment situé à l'entrée de l'Écomusée.

Droits réservés : © Arnaud Loubry Rennes Ville et Métropole.

La ferme de la Bintinais

L’Écomusée de la Bintinais (dénommé écomusée du Pays de Rennes jusqu'en 2020) se situe au lieu-dit « La Bintinais », au sud de la ville, tout près de la rocade, entre la porte d'Alma et la porte d'Angers. 

Vue aérienne des bâtiments et des parcelles qui composent l'Écomusée de la Bintinais.

Vue aérienne des bâtiments de l'Écomusée, entourés de parcelles cultivées et de pâturages.

Droits réservés : ©Sabine de Villeroy

Dès le 13e siècle

Le nom « Bintinais » apparaît au 13e siècle. Le lieu doit sans doute son nom à la famille de Bintin qui possédait un manoir à Cintré, à 20 kilomètres à l’ouest de Rennes. L’un de ses membres, Geoffroy de Bintin, était sénéchal de Rennes en 1262. Le premier possesseur connu du lieu est un certain Perrot de la Bintinaye. À la fin du 14e siècle, il réside aux Portes mordelaises, à Rennes.

Jusqu’à la Révolution, la Bintinais est divisée en deux exploitations qui appartiennent à des familles de la petite noblesse rennaise, les Bourgneuf, puis les Bazin. En 1826, elle est acquise par des commerçants, les Ramé. Les propriétaires n’habitent pas sur place, mais jouissent, au 1er étage de la Grande Bintinais, d’une retenue de plusieurs pièces.

En 1895, les deux exploitations, la Petite Bintinais et la Grande sont réunies, formant ainsi une exploitation de plus de 62 hectares, soit dix fois la taille moyenne des fermes d’Ille-et-Vilaine.

La ferme passe aux mains des Bilard-Fraleu en 1922. 

Un truie est allongée et allaite ses petits.

L'heure de la tétée pour les six porcelets.

Droits réservés : ©Arnaud Loubry

De la prospérité au déclin

Entre 1850 et 1950, la ferme de la Bintinais est considérée comme l’une des plus grandes du Pays de Rennes, voire du département, avec deux productions majeures : le cidre et le lait.

La fabrication du cidre est attestée dans les baux dès le 17e siècle. La ferme devient une référence locale au début du 20e siècle, avec un verger de plus de 1 000 pommiers et une production annuelle entre 90 000 et 130 000 litres de cidre produits par an.

La Bintinais s’inscrit par ailleurs dans la tradition laitière bretonne : entre 1830 et 1950, le troupeau de vaches oscille autour d’une trentaine de bêtes, un nombre étonnamment élevé pour l’époque.

Le cidre est livré quotidiennement aux cafés rennais. Le lait et les légumes — une production d’appoint — sont vendus dans les petites épiceries et sur les marchés, comme celui des Lices.

Après 1950, en quelques années, tout change. La taille de l’exploitation se réduit progressivement : 16 hectares au début des années 1980. La demande de terrains à bâtir, la croissance de la ville, la volonté des propriétaires sont autant d’explications. La demande aussi change. Vins et bière remplacent le cidre dans les cafés. Pour des raisons sanitaires, la distribution du lait ne se fait plus de la même manière.

En 1982, le dernier exploitant de la Bintinais, Albert Trochet, prend sa retraite. 

Image de deux hommes dessinant des fleurs. Au premier plan, dessins des fleurs réalisés par les deux hommes.

Vue de l'exposition temporaire "Fleurs, au-delà des apparences" de nomvembre 2024 à août 2025.

Droits réservés : ®Arnaud Loubry

La ferme devient musée

Dès 1978, sous l’impulsion de Pierre-Yves Heurtin, élu à la Culture à la Ville de Rennes, et de Jean-Yves Veillard, alors directeur du Musée de Bretagne, le projet d’un écomusée germe. Les deux hommes souhaitent entretenir la mémoire rurale de la commune de Rennes tout en sauvegardant un ensemble architectural exceptionnel.

Après presque dix ans de travaux, l’Écomusée du Pays de Rennes ouvre ses portes le 23 mai 1987.

Transformer la ferme en musée a permis de préserver un ensemble architectural représentatif de l’histoire du Pays de Rennes. « Plus largement, l’exposition permanente vise à comprendre la sociologie rurale et le lien entre une ville, Rennes, et sa campagne », précise Jean-Luc Maillard, directeur de l’Écomusée de 2005 à 2022.

Progressivement, l’Écomusée élargit sa palette pour répondre à sa mission de musée de société : « Interroger les traditions locales au regard de l’évolution », précise Philippe Bardel, conservateur en charge du pôle scientifique. Un même objet est source de nombreuses approches. « À partir d’un meuble, on peut s’intéresser à l’arbre et au paysage qui était celui de l’époque, mais aussi aux gestes du menuisier, aux outils, à l’évolution du métier… ».

Des gens se tiennent à côté des barriques de cidre dans l'espace d'exposition permanent.

L'espace d'exposition permanente met en avant des objets traditionnels du milieu rural, ici des barriques ou fûts de cidre. 

Droits réservés : ©Didier Gouray

Les expositions temporaires permettent, quant à elles, d’explorer de nombreuses facettes du patrimoine local. Leurs noms sont évocateurs : « Alambics et vieilles bouteilles », « Compagnons célestes », « Bois, l’âme de la forêt », « Le cochon, une histoire bretonne », « Races bretonnes, une histoire bien vivante », « Vilaine, une histoire d’eaux », etc..

Des rendez-vous sont fixés tous les ans pour faire vivre le patrimoine. Ils invitent à découvrir des activités méconnues ou à transmettre des savoir-faire menacés comme :

  • l’apiculture et l’abeille,
  • la tonte des moutons,
  • ou la fabrication de cidre au pressoir, avec présentation des variétés cidricoles conservées à l’écomusée et dégustation  ! 

Toute la programmation est à retrouver sur l'agenda du site de l'Écomusée (lien externe).

Un verger unique

Au-delà de la préservation et du partage, la Bintinais a une autre mission : valoriser le patrimoine vivant. Connaissez-vous ces noms : Petit Canari de Rennes, Fer rouge, Monte en haut, Jambe de lièvre, Petite Jamette ? Ce sont des pommes, sauvées de l’oubli grâce à l’Écomusée. 

La renommée de l’ancienne ferme s’est faite sur le cidre. Au plus fort de la production, au 19e siècle, elle produisait plus de 100 000 litres de cidre, livrés dans les cafés de Rennes et alentour. En 1920, 250 variétés de pommes à cidre étaient répertoriées en Ille-et-Vilaine. Près de la moitié ont aujourd’hui disparu. 

Au premier plan, un pommier et des pommes rouge. À l'arrière plan, des gens entre dans le bâtiment.

Un pommier et ses fruits, chouchoutés par les équipes de l'Écomusée. 

Droits réservés : ©Arnaud Loubry

Logiquement, la création de vergers conservatoires s’est imposée. Jean-Yves Saffray, ancien chargé du suivi des vergers, témoigne : « En 1987, nous avons planté des porte-greffes. Deux ans plus tard, les premiers agriculteurs sont venus greffer les variétés qu’ils possédaient ». Les vergers comptent désormais 120 variétés, soit près de 200 arbres, et forment un lieu unique de conservation des variétés locales anciennes.

Ces pommes ne demandent qu’à agrémenter d’autres vergers. « Nous proposons des formations au greffage avec don du greffon. » Ces variétés, parfois moins productives, mais de meilleure qualité, intéressent aussi les agriculteurs.

L’Écomusée a mené pendant cinq ans une étude avec la Chambre d’agriculture des Côtes-d’Armor pour caractériser chaque variété (lien externe). Un travail, en lien avec le pôle fruitier de Bretagne, permet aussi la caractérisation des jus. L’enjeu est La survie des variétés cidricoles traditionnelles du Pays de Rennes pour les décennies à venir. 

Des races anciennes

Un parc agro-pastoral a été créé en 1994 à la Bintinais pour permettre la conservation d’animaux domestiques à faible effectif.

Si l’emblématique poule Coucou de Rennes, la chèvre des fossés, au tempérament bien trempé, ou encore le mouton d’Ouessant, le plus petit mouton du monde, sont souvent à l’honneur, l’Écomusée a su redonner une place à nombre d’espèces de bovins, ovins, porcs ou volailles.

Sans le travail réalisé par l’Écomusée, en lien avec le parc naturel régional d’Armorique, la vache armoricaine aurait peut-être disparu. « En 1995, il ne restait que 90 vaches », explique Jean-Paul Cillard, ancien zootechnicien en charge du cheptel.

Depuis trente ans, les effectifs de toutes les races ont augmenté, « en lien avec des associations, existantes, ou créées à notre initiative, et des éleveurs ». Car conserver ne suffit pas. « Pour sauvegarder une race, il faut lui trouver des débouchés. » Souvent délaissées pour cause de rendement moindre, mais offrant des produits de meilleure qualité, elles intéressent les agriculteurs qui privilégient les petites structures, la vente directe… « Toutes les races bovines ont trouvé leurs vocations, viande ou lait et dérivés. » 

Des moutons noirs broutent au près à l'ombre d'un arbre.

Des moutons de Ouessant se régalent au pied d'un arbre.

Droits réservés : ©Arnaud Loubry

Pour la chèvre des fossés ou le mouton des landes de Bretagne, l’Écomusée a cherché à développer l’écopâturage. Cette pratique, adoptée par de plus en plus de communes, participe à maintenir une filière : « Pour les éleveurs, c’est une garantie de trouver des débouchés pour les mâles, seuls concernés. »

Parallèlement, l’Écomusée travaille avec l’INRAE (lien externe) sur l’analyse du lait des chèvres des fossés, en particulier sur la teneur en caséine, facteur essentiel pour sa transformation en fromage « en vue de la sélection des animaux ».

Présentés à Paris lors du Salon international de l’agriculture, et régulièrement primés, les animaux de l’Écomusée sont des ambassadeurs du Grand Ouest, au-delà même des frontières nationales. « Nous fournissons des reproducteurs de la race ouessantine en Allemagne, aux Pays-Bas, au Portugal, en Italie, en Belgique  ! »

Une réussite que l’Écomusée doit aussi à ses partenariats avec l’Institut technique du porc (lien externe), l’Institut de l’élevage (lien externe), les associations locales ou encore la Fédération des races de Bretagne (lien externe).

Vers un musée du XXIe siècle

Lieu de promenade, de connaissance et de compréhension de la vie rurale, passée et présente, l’Écomusée a su conquérir un public nombreux : 79 244 visiteurs ont découvert le site en 2024. 

« Comparativement à d’autres musées nationaux, nous avons un ancrage territorial très fort et un public lui aussi très fidèle », explique Jean-Luc Maillard, ancien directeur. Progressivement, le lieu a passé les frontières locales, « avec une audience qui s’est élargie, au-delà du Pays de Rennes, et des partenariats et échanges avec de nombreuses structures régionales ou interrégionales. »

L’idée est aujourd'hui d'apporter un regard neuf qui correspond aux évolutions de la société. Il s'agit « d’anticiper sur les thématiques de société. Le patrimoine naturel, l’alimentation, le “produire autrement”, les jardins, la transition agro-écologique et environnementale, la biodiversité : autant de questions qui préoccupent beaucoup plus qu’il y a trente ans et que nous abordons en croisant les sciences humaines et techniques, toujours sous l’angle des évolutions historiques », poursuit Jean-Luc Maillard.

Deux enfants, derrière une barrière en bois, tentent d'attirer l'attention des vaches au champ.

L'Écomusée est un espace de balade qui permet d'expérimenter la nature, ici à l'occasion de la Nuit des Musées. 

Droits réservés : ©Arnaud Loubry

Je souhaite consolider les atouts de cet établissement où se croisent histoire rurale, biodiversité animale et végétale, savoir-faire locaux, ainsi que des enjeux de transition environnementale et alimentaire. Ce doit être un lieu de recherche, de transmission et de convivialité, ouvert à tous. L'objectif est de porter un nouveau projet pour 2027, année du quarantième anniversaire de l'Écomusée.  

Alain-Gilles Chaussatdirecteur de l'Écomusée de la Bintinais

La Bintinais, c’est 20 hectares de nature aux portes de Rennes, avec 3 km de haies, un îlot de biodiversité à préserver et à développer. Classé « refuge LPO » depuis 2018, l’Écomusée accueille désormais des nichoirs pour les oiseaux.

Le cheptel a été légèrement réduit afin de laisser 1 ou 2 ha en prairies naturelles, pour favoriser le développement des populations d’insectes. Un enjeu important alors que de nombreuses espèces tendent à disparaître avec la raréfaction inquiétante des zones naturelles. 

L'exposition permanente va bientôt être revue. D'ailleurs, la salle d'exposition est actuellement en travaux afin d'accueillir des nouveautés en 2027. Pile-poil pour célébrer les 40 ans de l'Écomusée !