Melaine Dalibert : le coureur de sons

À la fois musicien, compositeur, professeur de conservatoire, co-programmateur du festival Autres Mesures, le pianiste Melaine Dalibert est aussi un marathonien adepte des courses de fond. Jamais pressé, mais toujours déterminé à atteindre ses objectifs, dont celui de faire de la musique contemporaine un genre musical populaire.

Qui va piano, va sano, dit le proverbe. Quand il n'est pas occupé à jouer, écrire ou transmettre sa passion pour la musique, Melaine Dalibert aime se laisser bercer par le ronron de ses chats, avaler les kilomètres des marathons, ces courses de fond sans fin, et regarder ses quatre enfants grandir. À 46 ans, le Rennais a une vie bien remplie, qu'il prend le temps de savourer. Comme compositeur, interprète, professeur ou programmateur, l'amoureux des félins a toujours un projet sur le feu, mais la cuisson est douce.

Les spectateurs privilégiés se souviendront longtemps de cette soirée du 24 janvier 2025, à l'opéra de Rennes. Cinquante ans jour pour jour après le légendaire "Concert à Cologne" donné par le pianiste Keith Jarrett, Melaine Dalibert se faisait l'interprète admiratif de cette œuvre inclassable rentrée dans le répertoire. J'ai ce disque dans les oreilles depuis que je suis gamin. Je me suis toujours dit : c'est quoi ce truc ? Un objet sonore non identifiable improvisé, en même temps jazz, soul, funk, osant même s'aventurer sur les terres arabo-andalouses.

Keith Jarrett a passé sa vie à improviser, mais il est aussi un excellent pianiste classique. C'est un artiste imprégné, avec lui, l'impro ne tombe pas du ciel. Un ange passe. The Köln Concert est tellement construit, tellement riche. Je crois que le succès du disque s'explique par son côté épique, qui nous fait faire le tour du monde.

Son œuvre, c'est certain, est un parfait trait d'union abolissant les frontières musicales, idéal pour rentrer dans la musique contemporaine. Un éloge de la lenteur brûlant de mille feux passionnés, à l'image de Melaine Dalibert. Je n'ai pas cherché à rejouer son phrasé, je ne me suis pas non plus laissé pousser les cheveux, je l'ai joué comme une œuvre du répertoire. Interpréter cette pièce a été pour moi une manière de boucler la boucle avec un disque qui a sans doute participé à décider de ma vocation.

Car avant Jarrett, il y eut un commencement :  J'ai appris le piano au conservatoire de Redon. Puis au conservatoire de Rennes, quand j'ai su que je voulais vivre de la musique, et enfin celui de Paris.  En parallèle, Melaine Dalibert s'est formé à l'enseignement, prodigué depuis 14 ans au conservatoire de Rennes : "La transmission, partager la beauté qui se trouve dans les partitions, dans le son, participe à mon équilibre."

Son identité d'artiste a elle aussi pris le temps de se construire, d'abord dans le grand répertoire classique, puis le jazz et les musiques improvisées. La rencontre avec des compositeurs vivants comme Gérard Pesson, s'est par ailleurs révélée déterminante : "Je m'essaie à l'écriture depuis que je suis ado, mais si poser une amorce est une chose, composer la suite en est une autre."

Son travail de compositeur prend plusieurs directions. L'une d'elles révèle un côté aventureux, expérimental :  J'ai forgé un système d'écriture reposant sur des algorithmes. C'est une manière pour moi de court-circuiter l'inspiration romantique, de produire un objet artistique un peu délégué .

Une démarche programmatique compensée ailleurs par une deuxième approche de la musique contemporaine, plus intuitive et improvisée.  Je suis un artiste omnivore, je mange un peu de tout, ce régime est important pour mon bien-être. 

Aujourd'hui, Bach prend de plus en plus de place dans ma vie. Chaque jour, je pratique ma petite demi-heure de Jean-Sébastien. 

Entre les disques personnels et les projets collectifs, la discographie de Melaine Dalibert est également diversifiée. Avec l'Ensemble 0 de Sylvain Chauveau, nous avons notamment contribué à ressortir Julius Eastman de l'ombre dans laquelle il se trouvait, à côté d'artistes comme Steve Reich, John Cage, Philip Glass ou Terry Riley. Black, homo, toxico, hippie, cet artiste mort du sida en 1990 est récemment sorti des ténèbres pour goûter un peu à la lumière des projecteurs.

Après "Shimmering" et "Eden, Fall", "Vermillon Hours" est le dernier opus publié en son nom par Melaine Dalibert. Sorti en juin 2025, ce disque a été enregistré avec David Sylvian, un artiste pop révélé avec le groupe Japan à la fin des années 1970, et n'hésitant pas à aller vers la musique contemporaine. Je fais quant à moi le chemin inverse. Il y a un côté Brian Eno dans l'écriture de cette production.

Depuis quelques années, la fréquentation d'Autres mesures est bonne. Une autre source de satisfaction pour Melaine Dalibert, programmateur de l'événement de musique contemporaine aux côtés de Jean-Sébastien Nicolet. Depuis 11 ans, le festival cherche à montrer l'étendue des horizons musicaux et la diversité de paysages sonores contemporains.

Une course de fond, là aussi : La musique contemporaine peut faire un peu peur. Derrière cela, il y a l'idée qu'il faut avoir une éducation musicale pour l'apprécier. La musique contemporaine est une musique provocatrice qui peut nous renvoyer à notre inculture. Je pense surtout qu'elle cherche à inventer de nouveaux territoires, ce qui n'est pas forcément rassurant.

Aujourd'hui, ce genre musical s'émancipe du répertoire et une nouvelle génération de compositeurs apparait, flirtant volontiers avec le cinéma, les jeux vidéo ou les arts visuels, à l'image des concerts proposés par le festival dans les salles d'exposition rennaises. Petite cerise sur le gâteau, la moitié des concerts d'Autres Mesures sont offerts, et les autres proposés à des prix abordables.  L'idéal est de proposer une programmation diversifiée. Dans un bon repas, tu ne manges pas que des frites.  Un équilibre élémentaire, pour pouvoir finir le marathon.

Du jeudi 15 janvier au mardi 17 février, Aire Libre, MJC Bréquigny et autres lieux. 

Programmation (lien externe)

Jean-Baptiste Gandon